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L'éternelle heure du thé

Textes, théâtre et poésie de L.H.C. (Tous droits réservés)

Césexe et Léciens

La pièce se nomme Césexe et Léciens, mais il s'agit en réalité d'un triptyque. En effet si le premier tableau représente les personnages de Césexe et de son amant Léciens, il raconte aussi l'histoire du jour et de la nuit, l'histoire d'amour de Nocte et Diane. Enfin, au dernier plan, sont les géants, proches des sorcières de Mac Beth, ils sont rêve et passé, éteints et cependant devins, entre l'avenir et le passé

Puis la guerre des sœurs, passionnément amoureuses, contrariées et frustrée, de l'aide des étoiles et des anges et des nuages, moralement frustrés. Enfin leurs trouvailles, bonheur frustrée par la bienséance…


Les géants se rappellent, sortent de la mort qui les engourdis…

Nocte et Diane évitent leurs sentiments réciproque et incestueux…

Césexe oublie un amant qui l'a abandonné et rencontre un matin au bord de l'étang un prince étrangement beau, parfait. Pour son malheur celui-ci, Léciens est un « narcisse » et ne sait que s'aimer lui-même, par amour la belle Césèxe renoncera-t-elle à sa personne ?
L'ancien amant de Césèxe s'appelait Léciens. On ne sait pas le nom du personnage qui est tombé amoureux de lui-même, cependant Césèxe le nomme Léciens, car elle le trouve plus beau que Léciens mais que celui-ci lui ressemble en mieux.

Trois tableaux de personnages dans la solitude d'eux même, quelque part en nulle-part, une sorte de matin de printemps baigné de rosée et de fraîcheur crépusculaire au bord d’un étang…

 

Robert Combas, Le soleil et la lune

 

Protagonistes :

Quatre géants {l'un, l'autre, un autre et un autre encore}

Césexe (en robe rouge)
Léciens (avec un vêtement noir à la taille)

Diane (en robe blanche)
Nocte (en robe blanche)


 

Acte I (entre l'origine et le chaos)

Acte 1, scène 1
Trois tableaux (Prologue)
Le décor est constitué des quatre rochers sur lesquels s'assoient les quatre géants, ainsi que de brumes, particulièrement dans les transitions.

quatre géants-monstres-hideux à l'aspect minéral, assis sur de vieilles pierres dans un décor rocheux entouré par les brumes, au centre d'eux, un feu.

l'un :
et toi, vielle pierre, te souviens-tu des temps anciens…

l'autre :
non, non, cela me semble bien lointain…

un autre :
Peut-être, je me souviens, amis, aidez-moi à cela…

un autre encore :
Mon pauvre vieux, c'est que nous ne nous en souvenons pas plus que toi !

L'un :
Vieilles pierres, nous sommes bien vieux, et nos os se font pierres, ils se casseraient si nous nous cognions entre nous ; amis, gardons nos distances. Et comme nous sommes quatre, il y en avait deux…

l'autre :
oui, il y avait la mort aussi…

un autre :
Mais elle est déjà là !

un autre encore :
Mes pauvres os, voilà longtemps qu'elle est passée…

L'un :
Crois-tu vraiment ?

l'autre :
Mes pauvres amis, je ne crois plus rien, et si je me souviens, ce sera déjà beaucoup…

un autre :
Tu te souviens toi ?

un autre encore :
N'as-tu pas parlé de deux tout à l'heure ?

L'un : (il ressasse)
Vieilles pierres, nous sommes bien vieux, et nos eaux se font pierres, ils se casseraient si nous nous cognions entre nous. Amis, gardons nos distances. Oui, peut-être qu'il y en avait deux comme nous sommes quatre.

l'autre :
Mais il faudrait savoir deux quoi…

un autre :
Deux. Il y a… le tango… le rouge… et … et … mais oui, le noir…

un autre encore :
Qu'est-ce que tu racontes vieux fou, les deux qui dansent ne sont ni les rouges amours, ni la sombre destinée…

L'un :
C'est peut-être autre chose.

l'autre :
C'est sûrement autre chose.

un autre :
Mais enfin rendormez-vous, nous ne trouverons pas. Nous ne trouverons plus. (puis baille)

un autre encore :
Sommeil, tu repasses et je te vois, comme une lumière tu passes et m'éblouis, tu pèses sur mon cœur… et … fermes mes… pau…pières…
(ils s'endorment)

L'espace s'embrume de nouveau.

*

Autre action :

Césèxe, sortant de la brume : (s'adresse et regarde le public)
Vous l'avez vu ? Où est-il ? Où est-il parti ? Pourquoi n'est-il plus là à côté de moi ? Nous étions pourtant faits pour nous cristalliser l'un avec l'autre, contre l'avis de tous, nous aurions dû à nous deux finir en une seule roche, nous aimer dans la fusion et mourir en un feu d'artifice.
Léciens, il se nomme, Léciens… nous aurions été Césèxe et Léciens. Unis dans la roche comme un seul baiser, comme un seul corps qui se fond, comme deux reflets qui ne font plus qu'un, comme… comme… comme un homme et une femme qui s'aiment, et en s'aimant ne sont plus qu'un enfant.

Elle disparaît dans la brume, égaré comme une folle, les cheveux en désordre.

*

Autre action :
Nocte et Diane sont sœurs (peut-être jumelles, où bien Diane est l'aînée). La brume se dissipe de nouveau, de chaque côté de la scène elles se tiennent, face à face. Elles apparaissent comme deux fantômes (peut-être en projection vidéo-laser).

Nocte :
Ma sœur, comment ferons-nous ? Nous sommes sœurs et nous nous aimons ?

Diane :
Ma sœur, n'est-ce pas là le devoir de sœurs l'une envers l'autre ?

Nocte :
Je crains ma sœur qu'il y ait en cela une mesure, et que nous ne savons trop bien où elle se frappe…

Diane :
Ma sœur, si je te demande de me frapper avec le poignard, tu le ferais ?

Nocte :
Diane, comment peux-tu dire des choses pareilles, mais si je te tue, je me tue aussi…

Diane :
Du même poignard tu unirais nos deux sangs ?

Nocte :
Mais ma douce Diane, nos sangs ne feraient qu'une rivière.
 

Acte I, scène 2
L'espace est naturel, un lac entouré de verdures, de narcisses et de plantes marécageuses (on peut imaginer que le lac puisse être recouvert d'un couvercle avec les quatre roches et la mousse, ce couvercle s'enlève et se remet selon la scène).

Sur la scène, aux deux extrémités se tiennent Diane et Nocte. À gauche, accroupie et caressant du dos de la main un tendre gazon vert, se tient Diane, pensive et concentrée ; Nocte, à droite, joue doucement avec l'eau d'un bassin d'eau en s'y regardant, elle s'en amuse et riote de plaisir.

Diane :
Ma douce Nocte, que sont ces rires,
dis-moi ce qui cause tant d'émoi à cette heure ?

Nocte :
Ma chère sœur, ma Diane, ce n'est que le reflet de l'eau qui cause ma joie. J'y ai vu le reflet d'un faune et je crains qu'il ne fasse souffrir bien des cœurs. Alors je suis heureuse de n'avoir que toi, de nourrir toute ma tendresse pour toi, de t’aimer comme ma sœur et moi-même.

Diane :
C'est vrai qu'il est beau ce lac, et plaisant. Que nous y sommes bien toutes les deux. Qu'il est plaisant de sentir l'odeur de ces fleurs à peine écloses, de ces herbes qui chantent dès que le vent les caresse. Comme le soleil se fait doux quand nous nous asseyons là, comme il laisse notre peau blanche comme du lait1 et nos lèvres douces comme le pétale d'une rose.

Nocte :
Oh, ma chère Diane, comme cela me réjouit que tu te plaises près de ce lac. Nous y passerions notre vie.

Diane :
Et c'est la vie qui passe sur nous.

Nocte :
Autant la passer près de ce lac, bercées par le chant des oiseaux qui s'y plaisent tout autant que nous.

Diane :
Ma chère sœur, tu n'entends rien ?

Nocte :
Oui, tu as raison, il me semble entendre venir quelqu'un. Des branches craquent, et l'herbe est lourdement enfoncée…

Diane :
C'est le pas d'un homme. Vite ! Cachons-nous ! Ces buissons seront parfaits.
(elles se cachent dans les buissons au bord du lac)

Acte I, scène 3

Césexe parle de sa peine de cœur, cet amant qui l'a abandonnée, qui a quitté l'étang sans même lui dire adieu. Lui avec qui elle chantait, dansait, courait, lui comme sa moitié… Les couronnes de fleurs qu'ils se glissaient dans les cheveux… leurs jeux avec l'eau… Quand ils jouaient à se cacher derrière les arbres de l'étang…
Se reposaient dans la clairière…
Césexe, seule, assise sur un rocher contemple la surface de l'eau qui brille et court en de nombreuses vaguelettes…

Césèxe :
Comme je souffre. Comme mon cœur souffre. Quelle plaie ouverte, quelle blessure profonde et soudaine. Il m'a abandonné. Je ne comprends pas. Pourtant nous étions bien ensemble, tous les deux à jouer près du lac. Lésiens, – c'est le nom de mon amant – m'a abandonnée. Il a quitté l'étang sans même me dire adieu. Lui avec qui je chantais, dansais, courais, lui comme ma moitié… Les couronnes de fleurs que nous nous glissions dans les cheveux… nos jeux avec l'eau… Quand nous jouions à nous cacher derrière les arbres de l'étang… Nous reposions dans la clairière…
L'eau était le reflet de notre amour et les iris sauvages, les fleurs qui couronnaient notre union. Nous pouvions chanter tout le jour jusqu'à ce que la journée se couche. Et à la nuit tombée, le rossignol prenait le relais. Le paradis n'aurait pas eu d'autre lieu, et l'amour d'autre nom que les nôtres.
Par amour pour lui, je viendrai chaque journée qui se lève pour mourir près de ce lac. Ce lac où nous nous étions aimés. Et les oiseaux chantent nos chants et son nom. Et les fleurs me renvoient son parfum. Et l'eau, sa grâce et sa douceur, l'écho de son rire et ses larmes de joie. Pour lui, je viendrai m'éteindre ici. Pour lui je viendrai l'oublier ici. Dans l’éden qui fut le nôtre.
Je mourrai là où nous nous étions aimés.

 

Acte II (l'événement)

Acte II, scène 1

Les quatre géants se disputent à propos d'un caillou que l'un a volé…

l'un :
Rends-moi mon caillou !

l'autre :
Oui, rends-moi mon caillou !

un autre :
Ce caillou est à moi !

un autre encore :
C'est moi qui l'ai trouvé le premier. (ils se battent pour se prendre le caillou comme des vieillards)

L'un :
C'est lui qui a volé mon caillou !(montrant du doigt l'autre)

l'autre :
Je l'ai trouvé avant toi ! (regardant de travers les autres, serrant contre lui le caillou)

un autre et un autre encore :
Nous l'avons trouvé en premier ! Il est à nous. Ce beau caillou poli et brisé. (se jetant sur l'autre et le faisant tomber au sol)

L'un :
C'est le mien, il a d'un côté la couleur de la nuit, de l'autre la couleur de la journée. (le ramassant et le tenant à bout de bras pour mieux l'observer et le protéger des autres)

l'autre :
Puisque je vous dis que c'est le mien. Je l'ai trouvé avant vous. (cherchant à l'attraper)

un autre :
Je le veux, il est à moi, il me le faut, j'en pleurerais.

un autre encore :
Vous êtes méchant. Oui, parfaitement. Vous êtes des méchants de ne pas me le donner. Je le veux, il est à moi. Ce beau caillou noir, ce beau caillou sombre comme la nuit sans lune et menaçant comme les nuages gris d'une journée de pluie.

L'un :
Non ! Mon caillou, mon trésor, il s'échappe. (il faiblit et tombe, sa main lache le caillou qui roule loin des vieillards)

l'autre :
Pauvres idiots que nous sommes, nous avons l'âge d'être mort, nos yeux se sont refermés, notre taille s'est rapetissée et notre sommeil nous engourdit… notre crâne s'est dégarni comme avant et notre barbe se fait longue et blanche comme les nuages.

un autre :
À nos âges… nous sommes pires que des enfants.

un autre encore :
C'est que nous serons bientôt des enfants comme nous l'étions.

L'un :
Mais nous sommes les enfants de la nature. (après un instant et un soupir) C'est qu'il était beau mon caillou.
Après tout, des cailloux il y en a partout, tout autour de nous, et nous sommes nous-même à notre manière de vieux cailloux, mais c'est celui-ci que nous voulions.

Acte II, scène 2

Césexe aperçoit soudain un jeune homme qui contemple l'eau… et tombe aussitôt amoureuse.

Césexe :
Qui est ce jeune homme là-bas qui contemple le reflet de l'eau. Comme il ressemble à Léciens. Comme il est beau. Comme il ressemble à Léciens mais qu'il le surpasse en beauté. Mais c'est Léciens, à n'en pas douter, c'est Léciens. C'est un autre Léciens. Mon cœur bas. Je ne le croyais plus capable de battre ainsi. Mais calme-toi, ne bas pas ainsi, tu vas en mourir. Calme-toi voyons, ce n'est pas lui. C'est vrai qu'il lui ressemble. Les mêmes mains, le même torse, la même chevelure de fils d'or. Mais ses cheveux semblent briller davantage au soleil et refléter davantage les rayons de la lune, et comme sa peau semble plus douce, comme ses mains semblent plus agiles. Mais calme-toi mon cœur, c'est un leurre, ça ne peut être lui. Quelques mirages m'auraient trompé. C'est le soleil qui s'évertue à frapper là où il ne peut que faire bon et cela me cause des troubles.
Regardez-le. Ça ne peut être lui. Il est si beau, si fantastique, si chimérique. Regardez comme il met en valeur la couronne de lierre qui lui sert de couronne. Admirez comme son corps épouse le fin drap de lin qui lui sert de vêtement. Observez comme son sourire illumine la clairière, comme le lac n'existe plus sans son reflet, comme il guérit mon cœur mieux qu'un poème, ou que le passé.
Oh, qu'il est beau ce faune. Mais c'est Léciens. Il est revenu, il ne pouvait pas m'abandonner. Comme il est meilleur qu'avant, comme je l'aime davantage, moi qui ne pensais plus aimer, qui ne pensait plus l'aimer un jour.
Oh, il est parti, et il est revenu transformé, encore plus digne d'être aimé. Oh, comme je l'aime. Léciens, mon Léciens, tu es revenu, ta Césèxe est là et qui t’aime toujours. Non, qui t’aime davantage qu'auparavant. D'un amour plus pur encore, un diamant brillant, d'un éclat adamantin. Comme tu t’y verrais dedans, dans le diamant de mon amour. Sans impureté, je t’aime. Il n'y a pas de crapaud qui tienne. C'est un diamant qui n'a pas de prix. J'étais du charbon avant, je le reconnais, mais maintenant, je suis claire et je t’aime davantage. Tu pourras t’admirer à travers les facettes polies de mon amour.
Ô Léciens que tu es, tu ne me vois pas encore, mais moi je t’aperçois et je sais que je t’aime, entends-tu les battements de mon cœur troubler les ondes de l'eau ? Sens-tu les iris et les narcisses frémir à mon émoi? Je ne peux me tromper, je t’aime tant. Mais si je suis trompée, alors j'en mourrais.
Mais tu m'aimes, n'est-ce pas ? Ça ne peut être autrement. Et tu m'aimes mieux qu'avant. Nous nous aimerons de nouveau mon amour.

Comme il est beau comme il se regarde dans l'onde. On dirait un prince. C'est un prince étrangement beau et parfait. Comme j'ai bien fait ce matin de me lever, comme j'ai bien fait ce matin de le croiser, de le voir de loin comme je le vois d'ici. Comme je ferais bien d'aller à sa rencontre. Et comme il me reconnaîtra et se jettera dans mes bras comme je me jetterais dans les siens. Comme je l'aime déjà plus que je l'aimais. Comme je l'aime ce prince des eaux et des fleurs. Ne crions pas son nom pour ne pas le brusquer. Il ne faudrait pas le brusquer. Il risquerait de s'enfuir comme une bête sauvage, comme un jeune cerf, il fuirait au moindre danger. Léciens.

Comme je l'aime…


Acte II, scène3

Diane et Nocte, toujours…

Diane :
Ma sœur, je ne peux me contenir davantage. Je t’aime plus qu'une sœur ne peut aimer sa sœur.

Nocte :
Dis-moi ma sœur, comment m'aimes-tu ? Car je sens que je t’aime aussi comme tu le dis. Mais il nous faut exposer les faits pour savoir s'ils sont vérité.

Diane :
Je t’aime mieux que moi-même. Je t’aime comme la journée aime la nuit. Comme la journée à besoin de la nuit pour être journée.

Nocte :
Et moi, je t’aime comme la nuit aime le jour, et comme la nuit ne peut être si la journée n'est pas.

Diane :
Je veux être meilleure pour toi, et devenir meilleur par toi. Je veux ton âme, je veux ton corps, je te veux toute entière. Je veux te tenir contre moi et dormir contre toi. Je veux sentir tes tresses, tes mains douces et ta blanche robe de soie. Je veux que nos robes de soie n'en soient plus qu'une, que nous soyons une dans une même robe blanche de soie.

Nocte :
Moi aussi, je le veux. Mais ne nous affolons pas. Il est peut-être normal que deux sœurs comme nous s'aiment. Ils doivent savoir eux qui nous regardent et nous observent de loin.

Diane :
La question n'est pas alors le devoir, mais la volonté. La vérité ma sœur bien aimée, c'est qu'ils ne veulent pas voir la vérité.

Nocte :
Mais nous pouvons nous cacher pour nous aimer.

Diane :
Mais nous ne serons pas heureuses si nous devons nous cacher comme des voleuses.

Nocte :
Mais nous n'avons rien volé.

Diane :
Si, nous avons volé l'amour qu'ils ne connaissent pas et qu'ils nous envient.

Nocte :
Mais alors cela veut dire qu'ils t’aimeraient toi, Diane, au-dessus des journées et des champs de blés.

Diane :
Et qu'ils t’aimeraient toi, Nocte, qui règne sur la danse de la mer.

Nocte :
Ils ne peuvent donc pas nous aimer toutes deux comme nous nous aimons ?

Diane :
C'est qu'ils ne connaissent que la guerre et le partage. Ne disent-ils pas diviser pour mieux régner ?

Nocte :
C'est vrai qu'ils le disent. Mais le pensent-ils vraiment ? N'est-ce pas là un de ces verbiages que l'on lance pour se donner du courage contre ce qui nous dépasse?

Diane :
Ah, voilà leur tort, ils veulent toujours se mesurer. Ne peuvent-ils pas vivre en harmonie avec les tous petits et les géants ? Non, il faut qu'ils les envient où qu'ils les méprisent.

Nocte :
Qu'ils sont bien lâches ces Hommes.

Diane :
Oui, ils sont bien lâches.

La scène disparaît dans la brume. Un instant se fait et l'on entend la voix de Nocte demander timidement :

Nocte :
Mais si nous essayions quand même…?


 

Acte III (les choses ont un cœur, elles aussi)

Acte III, scène1

l'un : (ramasse un autre cailloux)
Regarde cet autre caillou, on dirait qu'il bat.

l'autre :
C'est vrai tu as raison, on croirait entendre des vibrations sous sa croûte de roche.

un autre :
C'est qu'il l'a épaisse, la croûte.

un autre encore :
Comme il doit être vieux.

L'un :
Vous croyiez qu'il est plus vieux que nous ?

l'autre :
Ma foi, je n'en sais rien, il faut l'ausculter.

un autre :
Tu sais faire ça toi ?

un autre encore :
Pardi, dans un autre temps j'ai été herboriste.

L'un :
Qu'est-ce que ça a à voir avec le cœur ça ?

l'autre :
Ça a à voir qu'un cœur, c'est comme une fleur, il est le fruit d'un lointain amour qui s'est changé en chose. Et c'est pour ça que nous sommes pierres ou chair.

un autre :
Mais tu dis les cailloux avoir une âme ?

un autre :
Une âme je n'en sais rien, mais un cœur oui, parfois, plus que les Hommes.

un autre encore :
Il y a bien des Hommes qui n'ont pas d'âme.

L'un :
Et bien des Hommes qui n'ont pas de cœur.

l'autre :
C'est ce que je disais.

un autre :
Tu dis souvent vrai, je l'ai constaté.

un autre encore :
C'est parce que je suis vieux et que mes os me font mal. Et cela est aussi vrai que mes os me font mal.

L'un :
Pauvre vieux…

l'autre :
À moi aussi mes os me font mal.

un autre :
Mais vous n'avez pas bientôt fini de vous plaindre ?

un autre encore :
Que veux-tu, quand on est jeune, on est insatisfait, quand on est entre les deux on a peur de basculer, et quand on est vieux on voudrait dormir en paix.

L'un :
En parlant de sommeil, il me prend l'envie de bailler.

l'autre :
Où est le caillou qui vit ?

un autre :
Il dort déjà lui…

un autre encore :
Je crois que je m'en… do-re…

Acte III, scène2

 

Césèxe s'approche de Léciens. Elle est enfin émue d'être près de lui. Elle s'étonne à peine de le voir absorbé par l'eau et insensible à sa présence. Elle s'imagine entendre ses réponses. Elle vit désormais chaque journée et chaque nuit près de lui. Elle le coiffe, lui change ses couronnes de végétaux, orne son vêtement et le lisse pour qu'il ne soit pas froissé. Elle l'entretient comme l'autel d'une divinité.

Césèxe :
Qu'il est beau… plus je m'approche de lui, plus il m'apparaît plus beau que l'instant d'avant.
Mais il cille à peine, on le croirait de cire, non, de marbre, car sa peau et plus claire que le miel, elle est si pâle, si fine qu'on croirait voir -tel un fleuve, – ses veines couler en lui, et sa peau diaphane, nous livre les combats de son cœur contre l'ennemie.
Comme ses mains sont délicates, à la fois robustes et capables de grandes choses,
comme son buste et droit, comme les muscles y sont justement réparti, sans démesure, sans excès…
Et ses yeux, mais ces yeux ! Peut-on d'ailleurs les nommer des yeux, ce sont deux étangs sans fond, deux lagons plus exotiques que les plus lointains pays…
Et ses pieds ? Ces pieds sont faits pour courir dans ces pays lointains !
Il est encore plus beau, plus gracieux que de loin…
Il est si beau que même sa couronne de lierres, toute défraîchie, semble sur lui plus fraîche qu'au matin.
Comme il s'oublie, quelle qualité rare et précieuse chez l'Homme, un autre que lui, qui aurait eu le malheur d'apercevoir ne serait-ce qu'une fois son regard, ne penserait plus qu'à surpasser son apparence… à pousser la beauté jusqu'à l'extrême, jusqu'au monstrueux…
Mais lui ne le fait pas, il est là, et qui s'oublie…

Ce lierre et ces pousses sauvages lui iront à merveille…
Et ce rayon de soleil qui vient illuminer son teint ; n'est- ce pas une bénédiction ?

Si je mets son pagne comme ceci, voilà…, pour qu'il ne se froisse pas.
Préfères-tu que je te frictionne le corps avec des pétales d'églantines ou du chèvre-feuille, ça sent si bon et ça éloigne les insectes mal-intentionnés, il ne faudrait tout de même pas qu'un bouton irrite ta peau si fragile…

Tu ne me réponds pas ?
C'est vrai, tu as raison, ceux qui s'aiment n'ont pas besoin de mots pour se comprendre.
Eh bien, soit, je parlerai pour toi.

Tiens, voici une pommade que je tiens de mes ancêtres, elle procure une agréable sensation de bien-être, on dit que les dieux prenaient forme humaine pour pouvoir s'en procurer…

Je ne connais même pas le son de ta voix, comme il doit être doux, comme il doit être chaud et vous envelopper dans un tourbillon de bonheur. Ce n'est pas grave, prends ton temps, on n'est pas obligé d'user ses mots en vaines paroles, quand tu voudras me parler, quand tu voudras me murmurer des mots d'amours, quand bien même tu voudrais me prendre dans tes bras… je sais que tu le feras. Mais par pitié, ne me remercie pas, ce que je fais pour toi, je te l'offre, je le fais d'abord pour moi, parce que ça me plaît, parce que j'aime prendre soin de ta peau, de tes mains, des fleurs qui cerclent ton noble visage… Parce que le contacte de mes mains sur ta peau m'enivre, et que les crèmes et les huiles ne doivent pas moins m'enivrer… parce que ça me rappelle le passé, quand je me reposais ici avec mon amoureux. Je t’ai déjà parlé de mon amoureux ? Celui qui m'a abandonnée ? Eh bien, c'est vrai que comparé à toi, il n'est rien, mais je sais qu'à travers lui, c'est toi que je cherchais. Toi que j'ai trouvée. Il s'appelait Léciens, comme toi. Mais il était différent, moins bien… pas aussi fantastique que toi. Tu sais, je pensais l'aimer, mais quand je t’ai vue, j'ai tout de suite su que ce n'était pas vrai, que je n'aimais que toi, que je n'étais faite que pour t’aimer toi. Que tout le reste n'avait été qu'une illusion pour te reconnaître quand je te verrai, pour me faire à toi, pour prendre soins de toi comme tu le mérites, pour t’aimer, comme personne d'autre ne saura t’aimer.

Le soir tombe avec la brume, elle s'assit à côté de lui et s'endort sur son épaule.

Acte III, scène3

Les deux sœurs essaient de vivre leur amour en paix et en harmonie entre la journée et la nuit, mais les éléments se mettent contre elles, les font trébucher quand elles veulent se rapprocher, (les pieds se prennent dans les lianes, les cailloux irritent les pieds fragiles…), les iris sèchent et les marguerites se fanent.

Diane :
Ma sœur dans les étoiles, j'ai envie d'aller vers toi, de me rapprocher de toi, de franchir les pas qui nous séparent…

Nocte :
Quelle délicieuse idée, mon année-lumière, j'en brûle d'envie…

Diane :
Regarde, je me lève…

Nocte :
Attends, que je me lève aussi pour réduire davantage les distances qui nous séparent…

Diane :
Oui, vient aussi vers moi, que je me sente moins seule quand je marche, que je t’aperçoive à chaque pas, plus près de moi…

Nocte :
Oui, je viens… je viens… regarde comme je suis grande sur mes pieds, tu me vois déjà mieux, toi qui es si haute ?

Diane :
Oui je te vois, j'arrive. Regarde je fais un pas.

Nocte :
Moi aussi j'avance. On ne dirait pas comme ça, mais c'est que ces herbes sont hautes.

Diane :
Oui, comme elles s'enroulent autour de mes jambes. Comme elles veulent me faire trébucher…

Nocte :
Moi aussi, je tombe et je trébuche, vois comme je m'accroche aux branches de ces arbres…

Diane :
Regarde ces lianes qui m'enserrent, on croirait des ronces. Regarde aussi, comme c'est étrange, les iris ?

Nocte :
Mais tu as raison, les iris perdent leurs couleurs, ils sèchent, ils tournent tête contre terre. Mais où sont leurs douces couleurs violines, blanche et jaune… Et leur fierté toute particulière…

Diane :
Et les jonquilles et les narcisses…

Nocte :
Ils fanent aussi !

Diane :
Et les marguerites !?

Nocte :
Elles fanent aussi.

Diane :
Je tombe ma sœur, je trébuche mon amour !

Nocte :
Arrête, arrêtons, ne marche plus. Restons où nous sommes !

Diane :
Je ne peux pas avancer, ma tendresse, je ne peux pas courir vers toi. Toute la nature se ligue contre nous.

Nocte :
Ce que nous faisons est-il si amoral ?

Diane :
je ne sais pas ma sœur… je ne sais plus.

 

Acte IV (vers la fin)

Acte IV, scène1
Les vieux géants commencent à souffrir, la bêtise des hommes leur donnent des rhumatismes, leurs dos tirent, leurs mains sont veinées comme la vigne, semblables à des troncs noueux, la fin est proche. Ils perdent même la tête et chantent des contines surréalistes

l'un :
Oh, mes vieux os me font mal.

l'autre :
À toi aussi ? C'est bizarre comme mon dos me tire et mes jambes se font lourdes.

un autre :
Vous avez vu mes mains ? Elles sont si noueuses, si verte de veines, qu'elles ressemblent davantage à des sarments de vigne, des troncs noueux…

un autre encore :
De vieux troncs noueux sur de vieux cailloux, voilà ce que nous sommes.

L'un :
Il va pleuvoir, mes rhumatismes me le disent. Voilà ce qui est pratique avec le vieil âge, c'est qu'on a plus besoin de regarder le ciel. D'ailleurs je suis trop courbé pour voir le ciel maintenant.

l'autre :
Le ciel ! Le ciel ? J'ai oublié la couleur du ciel.

un autre :
Il est de la couleur que tu auras quand le sang ne coulera plus en toi.

un autre encore :
Oui, mais je ne me souviens plus, je crois que je perds la tête.

L'un :
C'est que maintenant ça ne te servira plus à grand-chose.

l'autre :
Chante-nous voir quelque chose ? Si ta vieille caboche à vraiment tout oubliée.

un autre :
Un petit chat, avait perdu sa pelote, un petit chat avait perdu sa pelote…
Ariane, Ariane la lui cacha…
Ariane la lui cacha sans qu'il grelotte, le petit chat au grelot d'or.
Le petit chat est parti, le petit chat est parti,
dans le labyrinthe…, dans le labyrinthe de la vie.
Alors le petit chat la vit, alors le petit chat la vit.
Et sa pelote la lui rendit, et sa pelote la lui rendit…
Dans ses bras elle le prit, dans ses bras elle le prit,
et de l'autre côté de la vie, l'emmena,
et de l'autre côté de la vie, l'emmena.

L'un :
Ce n'est pas ça du tout, tu perds la tête…

l'autre :
Toi aussi tu perds la tête, je te signale… on ne voit même plus ta figure, tellement la barbe la recouvre…

un autre :
Alors n'était-ce pas le crocodile sans culotte…?

un autre encore :
Tout le monde sait bien que les crocodiles n'ont pas de culotte, non, la véritable contine est « le canari qui jouait à la belote ».

L'un :
Mais il est de réputation notoire que les oiseaux n'aiment pas jouer aux cartes.

L'autre :
Alors ce n'est pas ça, c'est peut-être autre chose. Mais je ne me souviens plus. Et d'ailleurs je ne sais plus chanter, ma voix ne sait plus que crier et pleurer. Je n'ai plus envie que de réclamer un sucre.

un autre :
Que la vie nous soit douce.

un autre encore :
C'est maintenant que tu dis ça ? Au point où nous en sommes, il vaudrait mieux dire « que la mort nous soit douce ».

L'un :
Douce comme la pelote du chat.

l'autre :
Douce comme la poitrine d’Ariane ?

un autre :
Mais non, ce n'est pas ça, je suis sûr que ce n'est pas ça. Comme je suis sûr de ne plus être sûr de rien. …Ariane était un chat, idiot… (puis il s'endort, et tous les autres après lui, pensifs et hébétés.)

Acte IV, scène2

 

Léciens lève enfin les yeux sur elle, avec dédain. Il sort de sa rêverie et ne s'est pas rendu compte de la présence de Césèxe. Elle se redresse soudainement, ne voulant pas être surprise en faute. Il lui parle alors crûment, lui dit qu'il n'aime que cet être dans l'eau et qu'il ne pourra jamais l'aimer. Que son amour n'est qu'une illusion. Elle se penche dans l'eau pour qu'il puisse l'aimer par son reflet. Il dit qu'il lui préfère le premier reflet qu'il a vu dans l'eau, le reflet de ce prince étrange et parfait, cet être aux cheveux d'or, à la bouche tendre et aux mains si agiles. Il ne peut donner son amour qu'à quelqu'un qui l'égale ou le dépasse. Césèxe est sûrement une femme très bien. Mais il ne peut l'aimer. Elle s'est trompée. On l'a trompé.

Césèxe :
Oh, il lève enfin les yeux…

Léciens :
Mais qui es-tu ?

Césèxe :
Mais enfin tu ne me reconnais pas, c'est moi qui prends soins de toi, qui m'occupe de toi et te cajole, qui chaque journée change tes fleurs et la couronne dans tes cheveux, je ramasse les feuilles mortes qui veulent gâter ton reflet ; c'est moi Césèxe.

Léciens :
Mais pourquoi fais-tu tout ça, je n'ai besoin de personne, moi !

Césèxe :
Tu n'aurais pas pu continuer à regarder ton reflet si je n'avais pas pris soins du lac et de toi.

Léciens :
Mais tu ne sais pas depuis combien de temps j'étais là avant toi.

Césèxe :
J'étais au lac la veille de te rencontrer et tu n'y étais pas.

Léciens :
Peut-être n'as-tu jamais remarqué ma présence, c'est qu'il me semble que je suis là depuis toujours. Je suis venu me reposer il y a longtemps de cela, ici. J'étais fatigué de la présence des Hommes et je fuyais la bassesse humaine, tous ces Hommes grossiers et martiaux qui déclareraient la guerre au ciel s'ils avaient le malheur de s'ennuyer. Tous plus imparfait les un que les autres….

Césèxe :
C'est que je vis près de ce lac depuis des temps lointains et je ne t'y avais jamais rencontré auparavant. C'est un jour que je croyais mon cœur brisé à tout jamais que je t'ai aperçu, et dès cet instant, je l'ai entendu battre pour la première fois. Avant, ce n'était pas mon cœur qui chantait, mais l'espoir qui alignait mes pas.

Léciens :
Alors qu'il continue son chemin, tu ne vois pas que je médite et que tu me déranges ?

Césèxe :
Comment pourrais-je te déranger puisque tu viens seulement de découvrir ma présence à tes côtés.

Léciens :
Tu me déranges c'est tout. Maintenant va-t’en. Et je te dis merci si tu attends des remerciements. Ce n'est pas ton cœur qui bat cette fois encore, ce n'est que l'espoir de l'entendre une nouvelle fois. Va-t’en, les routes sont bordées de jeunes sots qui te promettront monts et merveilles et qui t’abandonneront pour partir à la guerre.

Césèxe :
Mais je ne veux pas quitter le lac, c'est ici qu'est ma vie, et mon cœur avec toi. Ces battements ne sont pas des leurres, écoute-les et tu verras que je ne te mens pas. Léciens tu n'es pas comme les autres et c'est pour cela que je t’aime.

Léciens :
Les yeux ne voient que ce qu'ils veulent voir. Va marcher au-delà de ton lac et tu verras du pays, tout ce qu'il y a à voir, et tu croiras entendre battre ton cœur. Pour une autre merveille, pour une montagne qui semble plus haute et plus belle que les autres, pour un coup de canon ou un poignard qui te frôle de trop près.
Vois-tu ? Je n'aime que cet être dans l'eau et je ne pourrais jamais t’aimer.
Ton amour n'est qu'une illusion.

Césèxe :
Regarde, je me pencherais dans l'eau, comme ceci, regarde, pour que tu puisses aimer mon reflet comme le tien. Pour que tu puisses m'aimer comme ton reflet. Ne suis-je pas assez belle, avec ma peau sucrée, mes boucles brunes et mes yeux de biche ? Ne suis-je pas ce qu'un homme peut désirer ardemment ? Je ferais ton bonheur Lésiens, crois moi, je t’aime tellement que nulle autre que moi ne saurait faire mieux ton bonheur.

Léciens :
Je préfère le premier reflet que j'ai vu dans l'eau, le reflet de ce prince étrange et parfait, cet être aux cheveux d'or, à la bouche tendre et aux mains si agiles. Je ne peux donner mon amour qu'à quelqu'un qui m'égale où me dépasse. Césèxe, tu es sûrement une femme très bien. Mais je ne peux t’aimer. Tu t’es trompée. On t’a trompé.

Césèxe :
Comme tu es cruel quand un cœur pur s'ouvre à toi.

Léciens :
Qu'il se referme, je ne veux pas le voir, j'en ai trop vu des comme toi.

Césèxe :
Tu te trompes, je ne connais que moi qui soit dans mon corps, qui se lève chaque matin à mes côtés et voit chaque soir les fleurs se refermer, et espérer que le lendemain soit aussi beau.

Léciens :
C'est bien ce que je dis, tu te crois assez unique pour me mériter. Mais il n'y a que l'eau qui nous emporte aussi loin, et qui nous fasse différent chaque fois que le soleil danse dans le ciel, avec l'eau, c'est un enchantement sans cesse renouvelé, on se découvre différent à chaque heure, et chaque heure je brûle de voir ce que je n'avais encore jamais vu.

Césèxe :
Je pourrais m'asseoir près de toi et contempler notre reflet avec toi.

Léciens :
Non, je ne le veux pas. Tu gâtes mon reflet dans l'eau. Va-t’en et laisse-moi seul à me regarder. Il n'y aura pas assez de journées et de nuits pour que je me découvre…

Césèxe :
C'est ce reflet dans l'eau qui n'est qu'illusions et tu ne le vois pas. Un jour viendra où tu te noieras dans l'eau où tu te regardais.

Léciens :
Cesse donc de penser à moi.

Césèxe :
J'ai cherché partout à t'oublier. J'ai appris les étoiles pour t’oublier, elles ne me parlaient que de toi. J'ai appris le ciel par tous les temps, les nuages d'orages ou le ciel bleu et ses cumulus, tout n'était que le reflet de tes humeurs, quand tu étais heureux ou que tu avais envie de pleurer. J'ai appris les fleurs et leurs sciences et leurs médecines, mais elles n'étaient destinées qu'à te soigner et te parfumer. J'ai appris la faune, mais ils ne vivaient que dans l'espoir de te voir un jour et d'être aimés de toi. J'ai aussi appris les ondes et leurs courants, les ondes douces et les marées salées; partout je n'y voyais que ton reflet comme tu l'y vois. Plus je t’oubliais, plus mon amour pour toi grandissait, plus je t’aimais. Plus je t’oubliais, plus tu existais pleinement, et par-dessus tout. Plus je mourrais pour toi. Oh, il vaut mieux mourir pour quelque chose que de mourir pour rien. Je ne l'ai pas choisi ; Destin l'a fait pour moi, je vais mourir pour toi. Dans les eaux claires de mon amour pour toi. Noyée par la passion en fleur. Une Ophélie, ses fleurs et sa folie.

Léciens :
Oui, tu étais folle de m'aimer. Tu ne voyais pas que je ne te voyais pas. Que je ne voyais dans tes yeux que mon reflet. Que tu n'étais pour moi qu'un autre de ces lacs dans lequel tu te noieras. Mais ce n'est pas ma faute. Ce n'est pas ma faute si tu es sotte. Ce n'est pas ma faute si je me suis vu avant que tu ne m’aies vu. En amour, c'est un peu à qui prendra… J'ai voulu croire que je te voyais, mais je m'aveuglais moi-même. Un tel être peut-il être si parfait que sa perfection en devient le défaut incarné ? Je m'aime, voilà tout. Je m'aime comme tu aurais pu m'aimer. Maintenant va-t'en et laisse-moi seul, seul avec moi-même. Laisse-moi m'aimer. Fuis, fuis avant que nous te tuions.

Césèxe :
Je n'ai plus qu'à me noyer dans ton reflet comme je l'ai déjà fait. Je suis déjà perdue. Je me noierai avec toi, même si tu ne m'aimes pas. Je t’aimais pour deux. Je t’aime pour toi qui ne m'aimes pas, je t’aime pour toi qui t’aime sans savoir ce qu'est aimer. Je t’aime pour les lacs et les forêts, pour les oiseaux et les fleurs des marais, je t’aime pour la musique et le silence, je t’aime pour tous ceux qui t’aiment comme moi en secret et qui ne peuvent te l'avouer désormais. Je t’aime comme jamais tu ne t’aimeras… et je me noie en toi.

Acte IV, scène3

Elles prennent la dure résolution, puisque tout joue contre elles, d'essayer de ne plus s'aimer trop fort.

Diane :
Ma sœur il ne faut plus nous aimer. Il ne faut plus nous aimer trop fort. J'ai réfléchi toute la nuit et…

Nocte :
Et moi toute la journée, puisque tout est contre nous, puisque tous les éléments sont contre nous, il ne faut plus nous aimer. Il ne faut plus nous aimer si fort.

Diane :
Mais moi je t’aime.

Nocte :
Moi aussi je t’aime. Mais nous ne pouvons pas. Tu vois bien que nous ne pouvons pas. Ce n'est pas faute d'avoir essayé.

Diane :
Mais tu ne veux pas te mettre à dos la nature.

Nocte :
Ce n'est pas tout à fait ça, voyons, tu sais bien que si ce n'était que cela, nous pourrions nous aimer.

Diane :
Mais tu n'as pas envie de te prendre les pieds dans les ronces pour m'aimer, tu ne m'aimes pas assez.

Nocte :
Mais qu'est-ce que tu racontes. C'est l'amour, ma belle lumière, qui te fait divaguer, et la peur de le perdre.

Diane :
Mais qu'est-ce que je dis… Bien sûr, mon ombre, que je ferais l'impossible pour t’aimer, mais il semble que l'impossible ne soit pas vivre.

Nocte :
Oh si je ne peux t’aimer, je veux mourir.

Diane :
Comment ferais-je pour vivre sans toi ?

Nocte :
N'y a-t-il bas ici-bas un remède, une plante qui ne soit pas hostile à notre amour ? N'y a-t-il pas une arme qui unirait nos amours ?

Diane :
Si ma sœur, j'en connais une…

Nocte :
Laquelle ?
 

Acte V (quand tout s'achève, épilogue)

Acte V, scène1

Césexe :
Dis, si je t’aimais dans une autre vie, est-ce que tu m'aimerais ?
Dis, est-ce que tu m'aimerais ?
Dis ?
Tu me le promets ?
Tu me promets que tu m'aimerais dans une autre vie ?
Dis, c'est vrai, tu me le promets ?
Oh, promets-le-moi ! Promets que tu m'aimerais !
tu me le jures ?
Oh, jure-le-moi !
Jure-moi que si je t’aimais dans une autre vie, tu m'aimerais !
Allez, jure-moi que tu m'aimerais !

Léciens :
Bon, arrête maintenant d'avoir des idées bizarres, d'abord je me suis trompé, je ne t’aime pas, c'est vrai, je te l'ai trop souvent répété, mais c'était plus pour me convaincre moi-même, par ce que tu semblais tellement m'aimer que je n'osais pas tout briser, et puis à la longue, j'ai fait semblant. J'ai fait semblant de t’aimer, de te le dire, d'être aimé de toi. Oui, j'ai fait semblant, j'ai tellement fait semblant que j'ai été trop lâche pour te dire vraiment que je ne t’aimais plus, que je ne t’aimais pas, que je ne t’avais jamais aimé, que j'y avais juste cru. Que j'avais fait semblant d'y croire. Que quand j'ai vu tes yeux briller, j'ai voulu y croire. Faire comme tout le monde, aimer comme tous ces autres. Même si plus personne ne sait aimer. Je regrette, je ne sais pas t’aimer non plus. Je te le dirais peut-être un autre jour, une autre fois, dans une autre vie si tu m'aimes encore et cette fois je te briserai le cœur, toi qui l'as si pur que c'en est du cristal et que la vérité le briserait. Je ne t’ai jamais aimé.

Césèxe :

Ça n'a plus d'importance maintenant. C'est trop tard. Je t'aimerai encore dans une autre vie, mais je sais que tu ne m'aimerais pas non plus. Mon cœur s'est déjà brisé sans que je le sache, sans que je veuille vraiment le savoir. Ainsi je me trimbalais avec à l'intérieur de moi, mon cœur brisé. J'étais sourde à la musique crissante des éclats entre eux. Ce n'est que plus tard, un jour que le hasard les mit à mes pieds, sans doute par une plaie ouverte, que je vis enfin la vérité en face. J'étais là, hébétée, à regarder les débris dont l'éclat trop vif me rendaient aveugle. Et si je voulais faire un peu de chemin, il me fallait pour cela, déplacer avec mon pied les débris de verre, et comme un fardeau, je les traînais devant moi. Impossible de les laisser en arrière, c'est qu'on envie au prisonnier les chaînes qui le lient au boulet ; ou au Christ, la lourde croix sur ses épaules. Impossible de les laisser en arrière, il me fallait à chaque pas les déplacer devant moi. Ne t'en fais plus, c'est trop tard maintenant. Oh, je sais tu ne t'en faisais que pour toi. On ne s'en fait pas pour ceux qu'on aime pas. Et dans une autre vie, je t'aimerai, et je sais que tu ne m'aimeras pas, et je traînerai devant moi les débris sortis de ma plaie. Et je continuerai de marcher, sans cœur, sans plus de cœur. Et je verrai ces autres mentir et faire semblant d'en avoir un, à l'intérieur. Je sais qu'ils n'en ont pas, je n'aurais pas besoin de leur rentrer dedans. Alors je passerai mon chemin, et je rirai, et je pleurerai. Pour tous ceux qui n'en ont pas. Comme toi. Mais je pleurerai surtout, pour ceux qui ont le malheur de n'en avoir qu'un, et de le voir se briser contre un mur d'illusions.

 

Acte V, scène2

Diane :
Tiens, ma sœur, voilà le poignard qui nous unira, il était là, caché dans la mousse. Je viens de le trouver. Regarde comme il est beau, il est d'or et il brille.

Nocte :
Comme il est beau c'est vrai. Comme il brille. Oh, et regarde, sur le manche, ce diamant incrusté, comme il est pur, et comme il brille. Ce ne peut être que le diamant d'une peine de cœur.

Diane :
Une peine de cœur comme le nôtre1.

Nocte :
Deux sœurs qui s'aiment d'amour et qui renoncent à leur amour pour s'aimer comme des sœurs. Comme il faut.

Diane :
Plutôt mourir que de ne pouvoir t’aimer assez. Faire cesser les rayons du soleil.

Nocte :
Faire s'éteindre de même les reflets du soleil sur la lune adamantine.

Diane :
Mais il y a bien une solution.

Nocte :
Oui, il y a la solution la plus terrible.

Diane :
Juste nous aimer sans nous aimer.

Nocte :
Oui, accepter d'être sœurs, et de ne pas dépasser les bornes.

Diane :
Respectons la bienséance.

Nocte :
Pour leur plaire, aimons-nous sans nous aimer.

Diane :
Oui ; mais qu'est-ce que ça changera pour nous de leur plaire.

Nocte :
Rien, non, vraiment ça ne changera rien pour nous. Nous ne dormirons pas alors qu'eux penseront s'endormir sûrement.

Diane :
Mais alors plus rien n'est possible pour nous puisque nous ne voulons ni leur faire plaisir, ni souffrir pour nous.

Nocte :
Non, plus rien n'est possible pour nous.

Diane :
Allons viens, ma sœur, viens tout contre moi une dernière fois.

Nocte :
Alors une seule fois, je veux mourir avec toi. Je veux que nous mourions dans un même élan d'amour. Unies et sacrées par le poignard. Nous mourrons dans les bras l'une de l'autre…

Diane :
Viens tout contre moi pour que le poignard traverse nos chairs dans le même temps. Viens enfin tout contre moi. Unissons désormais nos corps pour cet instant unique. Unissons-nous une fois, et une fois seulement, aimons-nous et mourons ensemble. Viens unir les noms de Diane et Nocte dans le baiser de la mort. Viens avec moi embrasser la mort pour la première et la dernière fois.

Nocte rejoint Diane et toutes deux meurent dans un même élan d'amour.

Acte V, scène 3

Les vieillards s'endorment encore. Cette fois sera la dernière.
L'un :
J'ai mal, mes amis. Mon corps me fait mal. Ma tête me pèse. J'aspire au sommeil.

l'autre :
Et moi je suis fatigué.

un autre :
Très fatigué.

un autre encore :
Je ne veux plus bailler autant. Je veux cesser de bailler.

L'un :
Je compte tes bâillements, cela fait cent-douze fois que tu t’entrebâilles… et cela m'agace.

l'autre :
Toi aussi tu ne fais que bailler.

un autre :
Oui, mais moi, c'est parce que je suis fatigué.

un autre encore :
Parce que tu crois que je ne suis pas fatigué, moi ?

L'un :
Tu n'as rien fait de ta journée comme de ta vie.

l'autre :
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