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L'éternelle heure du thé

Textes, théâtre et poésie de L.H.C. (Tous droits réservés)

La vie passionnante des mouches en Amazonie ou Ulysse l’étranger, mis en scène

NB : la veille du bac, je traînais les pieds pour réviser la philo. J'avais un peu le trac. Je me suis mise devant mon clavier chéri et j'ai écrit ce qui me passait par la tête. Avec le recul, cette histoire est un peu mièvre. Quelques temps auparavant, j'avais trouvé sur une brocante des Duras issus d'une bibliothèque des PTT qui fermait. L'amant, L'amant de la chine du nord et Les Yeux Bleus, Cheveux noirs venaient de me transpercer. Je comprenais enfin pourquoi les yeux de mes professeures de Lettres brillaient tant en évoquant Duras. Ce soir de veille de bac de philo, je terminai un peu étourdie Ulysse l'étranger, incertaine quant au style, mais enfin certaine que je pouvais terminer quelque chose, moi qui commençais mille choses sans jamais les finir.

J'ai maintenu la préface de l'époque tel quel.

 

 

La vie passionnante des mouches en Amazonie

ou Ulysse l’étranger, mis en scène

 

 

 

« Scénario »

 

Edward Hopper, Une Femme au Soleil, 1961

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce que je voudrais avec cette pièce, c’est offrir au spectateur toutes les saveurs du théâtre. C’est-à-dire offrir au théâtre une dimension olfactive qu’on ne lui reconnaît pas. Je voudrais - et cela ne se fait pas non plus au cinéma, malheureusement- que l’on installe aux côtés des haut-parleurs, des « haut-senteurs », bornes qui distilleraient aux quatre coins de la salle les odeurs que la scène se doit de diffuser. Que le dernier spectateur du fond de la salle puisse sentir l’odeur du café. Mais qu’il sente aussi celle des pivoines, de la rue humide, du cigare ou de la chair. Je voudrais que désormais, dans les salles de théâtre et de cinéma, on développe la dimension olfactive au théâtre et au cinéma, la troisième dimension au cinéma pourquoi pas ? Mais les sens, autre que l’odeur de renfermé, des parfums, des relents de voisinages, de maïs soufflés ou de fumigènes Mais la véritable odeur, celle qui renouvellera les genres, est comme le suggérait Barjavel, d’employer tous les sens à l’art (sans bien sûr en entraîner la mort). Et donc après celui-ci, pourquoi ne pas rajouter à tous ces autres, ceux de la vue, de l'ouïe, du plaisir et de l'esprit, ceux du tactile et du gustatif ?

 

 

 

 

Personnages :

 

les passants,

La Jeune Fille,

L’amant,

l’ami photographe,

les autres invités

(dont des collectionneurs indiens),

l’ancien amant (l’ami de son père, James G***),

Mme James G***,

ses enfants,

Le père,

serveurs,

un violoniste,

le libraire.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Scène 1

 

Cela pourrait être un tableau de Hopper, la jeune fille est assise à une table d’un bistrot parisien. Le café est noyé dans la foule inconsciente et lassée. La grande avenue frémit de vies monotones et d’arbres silencieux et nobles. La pluie colore l’asphalte et les murs délavés, de cette couleur verte que seuls les jours de pluie savent donner. Les parapluies et les chapeaux s’agitent nuançant le grand boulevard de la rue saint Honoré de teintes rouges à lèvres et orange acidulé. La jeune fille reste songeuse, le minois en l'air, laissant refroidir son chocolat viennois excessivement mousseux et crémeux comme l'écume qui lèche la coque du navire. Une odeur de viennoiseries émane d’on ne sait où, sortant parfois la jeune fille de ses rêveries avec une sensation agréablement coupable. Et de la bouche de métro voisine, s’échappe comme un farouche oiseau migrateur, une mélodie jouée par quelque musiciens quêteurs ; violon, accordéon et harmonica suggèrent de braves âmes errantes en guenilles oranges, vertes et brunes sur un fond de faïence rendu sépia par les passants. Mais ce n’est pas un tableau, c’est une étape, un lieu de passage, le lieu animé par l’empressement d’une foule colorée, faisant partie d’un théâtre vivant où enseignes de cafés rouges, feuillages verts et lampions oranges officient le décorum. C’est une clef, comme l’origine d’une part de vérité.

 

Scène 2

 

C’est une chambre d’hôtel, le papier sur les murs est vieux et décoloré, les fleurs imprimées donnent l’impression d’un jardin secret, un paradis perdu au cœur de Paris. Le lieu des amours clandestines.

Le visage de l’homme baise tendrement le blason féminin, forteresse bordée tels les pétales d’une rose délicate, le sexe mystérieux et détenteur de la fertilité de l’existante. L’homme fier dans l’instant présent d’assouvir ses pulsions de désirs, de caresser le corps de cette jeune fille, de s’approprier enfin la chair détentrice du pouvoir ; de dévoiler un peu le secret caché plus tôt derrière un décolleté, une robe de mousseline et une veste en toile de laine. Les mains jouent sur ce clavier de sens. La peau est encore plus douce qu’elle n’y semblait, par les jambes dévoilées jusqu’au-dessus des genoux de la petite robe verte. Le corps de la jeune fille frémit d’amour sous les effleurements des mains habiles. La raison de temps à autre, rappelle à cette tête folle, que le corps prodigieux, virile, lui est presque inconnu. Presque, mais pas tout à fait. Deviné depuis toujours, à chaque instant à réapprendre. Puis l’homme est femme. L’odeur de la chambre humide a immédiatement été envahi par le parfum de pivoine, de verveine et d’iris de la jeune femme. Comme s’il était composé pour évoluer dans ce sanctuaire, à ce moment précis, composé pour cet instant unique.

Le visage de la femme se pare de sourires et d’abandons au gré des variations du plaisir. La chambre était inoccupée voilà à peine quelques heures. Trois étages au-dessous, derrière les murs, au coin de l’immeuble, les passants passent sur fond de murs crème.

 

Scène 3

 

C’est dans la petite boutique de la jeune fille, une boutique encastrée dans une rue poétique et peu fréquentée, une rue mystérieuse et réservée où seuls les initiés peuvent apercevoir les étoiles et les paillettes éclatantes qui flottent dans l'atmosphère de cette rue aux pierres grises et noires de pollution. C’est une petite échoppe lumineusement blanche, aux grandes vitres curieuses et accueillantes. C’est une pièce moulurée de blanc. La jeune fille accroche un mobile de perles et de papier parmi les autres mobiles et le petit bureau de bois clair teinté.

 

La jeune fille :

« Un jour je le recouvrerais en rose framboise puis plus tard, en verte amande Mon atelier boutique, et cette annexe qui me sert d’atelier Le seul reste d’un souvenir passé, d’un lien sentimental comme si ce lieu était aussi quelques années d’une vie. »

 

 

 

La jeune fille :

« je suis heureuse et mélancolique de pouvoir suspendre ma dernière création comme si cet assemblage hétéroclite représentait plus qu’une création. Une part de moi.(elle regarde par la fenêtre) Il fait encore jour, mais le soir est déjà bien entamé, peut-être dix heures, je ne regarde plus ma montre, le temps s’est arrêté.

Rosa, ma concierge, m’a laissée une part du délicieux fraisier qu’elle a réalisé pendant l’après-midi. Depuis que je vis ici, Rosa est une mère pour moi ».

 

scène 4

 

Elle s’installe dans son canapé, le regard vague, sans comprendre pourquoi il était parti un matin, pourquoi il n’était plus là quand elle s’était réveillée :

« pourquoi est-il parti un matin, pourquoi n’était-il plus là quand je me suis réveillé ? »

 

scène 5

 

C’est un soir dans une galerie d’art, au vernissage d’un ami photographe qu’ils ont en commun.

 

L’amant :

« je suis surpris de te rencontrer ! »

La jeune fille :

« je suis surprise de te revoir ! »

 

Non, en réalité ils n’ont rien dit, ils se sont observé en se contentant de penser pour eux-mêmes tant de banalités émues.

 

 

Scène 6

 

Elle collerait peut-être la photo dans son calepin. Peut-être.

La jeune fille est allongé sur la scène, balançant ses jambes, regardant son calepin. Hésite, une photo noire et blanc dans la main.

 

Scène 7

 

Elle est sur la terrasse d’un café parisien comme dans un tableau de Hopper. Mais ce n’en est pas un. Elle essaye de comprendre. De résoudre le mystère. D’élucider cet homme. Le chocolat liégeois refroidit, l'odeur de viennoiseries persistante, elle se perd dans ses souvenirs, loin du refrain entêtant des métros, loin de l’agitation de la rue, loin des lumières de la ville.

 

La jeune fille :

« Qui est-il ? »

 

Elle, c’est une femme superbe en robe verte et chapeau orange avec une veste en toile de laine qui pense à une ombre. L’ombre de sa vie.

 

La jeune fille :

« L’ombre de ma vie…. »

 

scène 8

C’est sur le paquebot qui ramène les passagers de New-York en France. Elle, est assise dans un fauteuil du hall près du bar, égarée parmi les clients du comptoir, assise à une table pour quatre, elle ne consomme rien. Le bateau est magnifique, les fauteuils, de tout confort. L’alcool des messieurs en costumes, amateurs de whisky, enivre l'espace, et leurs cigares répandent des saveurs d’épices et enveloppent l’étage d’une brume suave.

Elle est seule, songeuse, repartant pour la France d’un amour qu’elle sait perdu.

 

La jeune fille :

« Un amant providentiel qui ne m'offrirait jamais que de l’attente, comme deux trains qui se croisent. Comme une femme et des enfants qu’il ne voudrait jamais quitter pour une passion amusante. Il veut bien me donner, il en a de trop, mais pas tout perdre pour moi. Alors je suis partie. »

 

scène 9

 

Une autre fois sur le même paquebot, assise à la même place, sans toujours rien consommer. La première rencontre. Il n’y a personne au piano du bar du hall, mais on dirait entendre frapper des accords de notes sur un piano, pareil à la colère violente du pianiste qui veut traduire l’orage. Pourtant, ils se sont déjà aperçus, à l’embarcation ; puis dans les couloirs, s’évitant, craignant le pire. Sachant déjà l’avenir.

Une tasse de chocolat liégeois se pose devant elle.

 

le serveur :

« cela vient du monsieur qui est là-bas, à la troisième table. »

 

La jeune fille. Elle le regarda et pense pour elle-même :

« Il est très élégant, l’air confiant et conquérant. Très beau. Beaucoup de charme. Parfait. »

 

Le message vole entre eux, léger et évident.

Il vient prendre place face à elle, son verre d’armagnac à la main. S’apprêtant à sortir un cigare de son costume. S’interrompt un instant.

 

L’amant :

« ça ne vous incommode pas, j’espère ». C’est une voix aussi voluptueuse que l’arôme de son havane.

 

La jeune fille :

« non, non, pas du tout, j’aime cette odeur, c’est une odeur de voyage ».

 

Et ils restent ainsi à se contempler et à savourer l’instant jusqu’à ce que le désir devienne insoutenable.

Ils vont vers la chambre.

Dans sa chambre, peu de trace d’identité, peu d’objets personnels. Il porte tout en lui. Trop de baisers à offrir. Ce corps de femme à aimer.

 

Scène 10

 

C’est le soir de la première rencontre. Presque le silence. Mais le battement des cœurs qui ne demandent qu’à vivre, les mots d’amour jamais prononcés qui flottent dans les airs, la passion folle et les mystères des deux corps interdits après le premier sacrifice. Ils restent tout l’après-midi dans la chambre sans marque d’identité. S'approprient leurs sentiments; et la béatitude suprême qui les emporte alors, les poursuivra pendant des mois.

Les murs sont couleurs crème, c’est un gros tissu velouté. Les rideaux rouges feutrent l'atmosphère. Dans les draps de satin blanc cassé, les deux corps amoureux reposent avec un semblant d’indifférence.

 

L’homme réapparaît avec deux cafés noirs dans ces fameuses petites tasses à expresso que l’on sert au comptoir du hall. Il lui tend la tasse et s’assit sur le lit pour la contempler boire son café. Elle n’aime pas le café, mais parce que c’est l’instant, elle le boit, sans sucre. Le café est très corsé, répandant dans leur bouche l’amertume du bonheur. Ils restent encore en corps, assis sur le lit, tous deux à s’admirer jusqu’à ce que la nuit tombe par-dessus la haute mer, nuançant la petite chambre impersonnelle de reflets argentés, sans lune.

Aux douzièmes coups, elle regagne sa cabine. Lui reste probablement allongé nu sur son lit, réalisant l’instant.

 

À son réveille, elle découvre dans la petite poche de sa veste une petite carte d’un beau papier. Seul y est inscrit la date d'un jour de la semaine suivante, le nom du parc Parisien, « je vous attends ».

 

Scène 11

 

C’est devant un théâtre, un soir de représentation. Les lumières de la vivacité urbaine font écho aux premiers éclairages des fêtes de Noël. Les gens empressés, circulent déjà les bras chargés de cadeaux. Elle est un peu en retard, non, elle n’est seulement pas en avance. Il est ponctuel et l’attend galant et pardonnant avec une rose rouge. La lui offre. Puis lui propose son bras qu’elle accepte avec une légère timidité confuse, la rose dans l’autre main.

Fascinée, émerveillée comme une enfant, elle est captivée par la scène, ce soir-là. Elle sent ses yeux brillants posés comme un papillon sur sa rivière de diamant.

Ils n’ont pas eu la nécessité des mots ce soir-là. Le regard et le décor suffit à eux seuls. Un petit orchestre joue dans une fausse pour accompagner la pièce. Mais leur partition semble cependant s’accorder et jouer chaque geste de la jeune femme en robe verte et de l’homme.

Après la représentation, il l’emmène dans une garçonnière. Là encore, très peu d’objets intimes. Un décor luxueux mais trop neutre. Seulement habillé par leur amour muet.

 

Scène 11

 

C’est dans la petite chambre d’hôtel parisien. Pour comprendre, elle décide de revenir sur les lieux de pèlerinage. Du dehors les oiseaux chantent le milieu de l’après-midi, semblant s’échapper des impressions florales du papier jauni. Elle est seule sur le lit. L’ombre de l'homme est partout. Les voiles aux fenêtres laissent pénétrer une douce lumière tamisée. Elle commence à se déshabiller, ôtant son chapeau orange, sa petite veste en toile de laine, ses souliers à talon aiguille vernis rouges, sa robe de mousseline verte, ses dessous de soie noire et son collier de perle.

Juste vêtue de son corps et de son rouge à lèvres.

Elle s’allonge sur le lit et s’abandonne aux fantomatiques caresses. Son corps retrouve chaque baiser, chaque caresse, chaque sensation d’amour, chaque soupir

Son corps s’anime des mêmes spasmes, vivant la jouissance, pénétrée des moments mémorables, acquis secondes après secondes, heures après jours.

Le corps masculin est peut-être ici, elle ne sait plus, elle le vit, elle le cherche.

Elle reste jusqu’au soir allongé nue sur le lit. Puis elle rentre chez elle.

 

Une part de gâteau qui l’attendait devant la porte avec un petit mot.

De sa concierge.

Le chat angora au pelage blanc réclame ses caresses après une après-midi passé sous les chaleureux rayons solaires que la vitre a bien voulu laisser passer.

Elle s'installe sur le balcon dans un fauteuil, avec l’affectueuse bête. Hantée par l'homme qu’elle aime et qu’elle ne trouve plus.

 

Scène 12

 

C’est devant l’entrée d’un petit parc parisien. Curieusement entouré de galeristes et de passants voûtés. Elle patiente devant l’entrée.

 

La jeune fille, pour elle-même :

 

 

 

Ils ont su d’instinct l’heure du rendez-vous, la même que la première rencontre.

Il est là, comme apparu soudainement, beau de prestance. Brun, le teint légèrement halé, et un sourire omniprésent sur ses lèvres, même quand il ne sourit pas.

Ils marchent longtemps ensemble, l’un à côté de l’autre, complices sans presque de mots. Puis s’assoient. Les bancs sont entourés de vie. Enfants qui rient, vieillards qui se souviennent, passant qui mangent.

Ils marchent, un petit chien vient à leur rencontre, comme s’il les reconnaissait. Ils se penchent tout deux pour le caresser. Complice. Puis le chien satisfait repart.

 

Dans la soirée il lui offre un chocolat, et pour lui un café, accompagné de gaufrettes belges et de chocolats.

 

 

La jeune fille, pour elle-même :

« On entend plus le bruit de la ville mais une musique envoûtante, d’un opéra que je ne connais pas. »

 

Les oiseaux chantent encore dans le ciel bleu et les arbres en cage.

Plus tard ils marchent encore dans les rues, alors que les réverbères diffusent les lumières de leurs émotions.

 

Elle découvre pour la première fois la garçonnière parisienne, les lampes diffusent une énergie intime dans un univers impersonnel, seules quelques étagères d’une bibliothèque remplie de livres semblent témoigner d’un peu de cet homme. Balzac, Stendhal, Zola, Shakespeare, Loti, Cortazar, Duras…. Des bouts de rêves et de vies imprimés sur papier. Des aberrations à vivres.

Un guéridon accueille un coffret à cigare près d’un Chesterfield chocolat, un lit deux places, un support à vêtements vide, à côté, une valise de cuir.

Pas de photos, pas de tableaux, juste des murs couleur crème et des rideaux rouges. Comme la chambre du bateau.

 

Les draps conservant les parfums de l’amour, les corps étendus côte à côte, les sentiments de voluptés et de joie épanouie, un phonographe laisse courir un morceau de jazz.

 

Au réveil, les croissants, ils refont l’amour, il la prend dans ses bras et la conduit dans la salle de bain. Le silence qui prend place n’en est pas tout à fait un.

 

Scène 13

 

C’est peut-être longtemps auparavant, ou seulement un peu avant. La jeune fille court dans les rues vertes et oranges sous la pluie. Sa main sur son chapeau pour qu’il ne tombe pas et l’autre maintenant maladroitement fermé la petite veste en toile de laine. Les talons escarpins vernis rouges claquent contre le macadam, métamorphosent les flaques d’eau grises en couronnes de cristaux fluides.

Un ami de son père l’attend à la terrasse d’un grand café du faubourg saint Honoré.

C’était un homme d’affaire. Un homme très distingué, les cheveux poivrent et sel, peut-être la quarantaine ou la cinquantaine, un grand charme. Un Américain.

Il est sur Paris est s’est proposé auprès du père de la jeune fille de la rencontrer. Il veut exposer les créations de la jeune fille dans une galerie new-yorkaise qu’il possède. Le père en a informé chaleureusement sa fille qui a accepté une rencontre préliminaire.

L’homme la remarque et l’invite à s’asseoir en face de lui.

 

L’ancien amant (l’ami de son père):

« Vous êtes de plus en plus radieuse Mademoiselle, la dernière fois que nous fûmes présentés, n’était-ce pas à ce gala de fin d’année ? ». Il ne se défera jamais de son accent américain malgré son amour pour le français et la France.

 

L’ancien amant (l’ami de son père):

La jeune fille est hésitante, elle n’a jamais exposé ses créations sinon chez son père qui reçoit beaucoup dans le cadre de ses affaires. James G*** est tombé fou de ces mobiles colorés de perles et de papier.

 

L’ancien amant (l’ami de son père):

« Vous exposeriez vos dernières créations de l’autre côté de la mer durant quelques mois ».

 

Les yeux bleus de cet homme d’affaire ne sont pas dénués de sensibilité.

 

L’ancien amant (l’ami de son père) pour lui-même :

« J’aime autant la fraîcheur et l’innocence de ses œuvres, que de cette jeune fille pour elle-même ».

 

scène 14

 

Sur le bateau. Elle traverse pour quelques semaines l’immense étendue d’eau. Pour préparer sa première exposition. Mme James G*** est charmante et bien conservée, elle respire l’air de la bourgeoisie comme ces femmes incarnent avec bonheur the American way of life. Une belle image de papier glacé, rayonnante, figée et au fond un peu blasée. Elle la reçoit avec le maternel et toute l’aisance d’une excellente maîtresse de maison. Deux jumelles blondes et un garçon adolescent lui tiennent lieu de progéniture. La jeune fille sympathise aussitôt avec eux.

 

C’est une demeure spacieuse propre à un idéal de vie de papier glacé. La propriété est entourée d’un superbe jardin et d'une piscine. La scène parfaite pour le scénario qui va suivre, un drame, une tragédie ou une par d’innocence enlevée par la vie.

Le refrain des métros poursuit la jeune fille : musique, couleurs et senteurs envahissent la scène et la salle progressivement

 

scène 15

 

Le vernissage remporte un franc succès, le public américain tombe sous le charme des mobiles oniriques.

 

Au restaurant.

Pour fêter cela, l'homme d’affaire mécène l’invite le soir même au restaurant. C’est un des meilleurs de la ville, évidemment. La jeune fille est intimidée par tout ce luxe excessif et superficiel.

Les yeux bleus de James G*** brillent d’admiration et d’amour. Cette jeune fille qui aurait put être la sienne lui plaît passionnément. Il se sent la vigueur du jeune homme ambitieux qu’il était quelques années auparavant.

 

Il lui saisit la main, la jeune fille ne la retire pas. Elle aurait pu, elle aurait du. La scène est comme elle doit se jouer. Un violoniste dans le restaurant interprète le morceau romantique et tragique né pour cet instant.

L’homme d’affaire et la jeune fille sont déjà amants. Leur liaison irraisonnée commencerait le soir même dans une chambre d’hôtel. C’est la première fois que quelqu’un l’aime. Elle découvre la douceur ferme, les caresses et l’affection qu’elle n’a jamais réellement eu durant son enfance.

Peut-être une mère décédée trop tôt et un père qui s’était abandonné aux affaires et à quelques maîtresses.

 

scène 16

 

C’est dans Paris, avant que son père n’eut fait fortune dans son entreprise.

L’homme qui a toujours été soucieux regarde distraitement, un sourire au coin des lèvres l’enfant aux cheveux longs bruns et en robe verte qui rie de bonheur, chevauchant un destrier de bois aux douces couleurs de l’enfance.

 

La petite fille est très proche de son père. Lui est soucieux de ses affaires. Elle, protégée dans un univers de crayons de couleurs, de boîtes à musiques et de poupées aux vêtements chatoyant.

 

Les images de son enfance lui semble ternies par un filtre sépia. Comme la photographie posée sur la commode du salon paternel, figeant une petite fille moitié moins âgée, débordant de bonheur dans un manège de couleurs de l'enfance.

Elle regarde la photographie de sa grand-mère.

 

scène 17

 

La petite fille n’a jamais vraiment d’amies de son âge, plutôt un chat confident, des poupées, et des personnages de papiers bariolés, de feutre et de tissus brodés, de perles et de dessins, de pliages et de savant collages merveilleux. On la voit jouer dans sa chambre, entourée de ses jouets et de son chat qui passe et vient se frotter à elle, elle le caresse.

 

scène 18

 

Pour son anniversaire et comme pour s’excuser de ne pouvoir traverser la barrière d’azur, son amant aux yeux bleus lui offre le lieu idéal pour son univers.

Une de ses relations dans l’immobilier avait remarqué une petite boutique à céder dans les quartiers bohèmes de la capitale. Une galerie avec atelier pour créations naïves.

Dans son bureau, il signe les papiers alors que derrière lui est projeté la photographie de la boutique en question.

 

scène 19

 

C’est dans l’appartement de la jeune fille.

Un appel téléphonique reçu tôt le matin. Par la fenêtre, il fait déjà jour.

 

 

L’ancien amant (l’ami de son père):

« Bon anniversaire trésor, veuillez m’excuser de ne pouvoir être auprès de vous ce jour, les affaires sont comme vous le dite si bien, des vêtements trop lourds à porter et qui nous vont si mal. J’ai une surprise pour vous. Dès que je pourrais me dévêtir de ces habits immondes, je vous rejoindrais à Paris. »

scène 20

 

La semaine suivante.

L’homme aux yeux bleus la conduit dans la petite boutique, une ancienne maison de confection dont la gérante n’est plus. Les murs seraient repeints. L’odeur de poussière et les souvenirs des vêtements sur mesures conçut pour de vieilles dames élégantes seraient remplacés par des créations colorées et fraîches.

Transportée de joie, elle lui saute au cou. Ce lieu est un véritable paradis.

Ils passent la journée ensemble, mais lui un peu distant, certainement préoccupés par ses affaires. Le soir, il repart pour son pays.

Il n’y a pas de musique ce jour-là, juste le bruit de la pluie de l’après-midi et du vent dans les feuilles.

 

Au petit matin, les crissements d’un vieux balai rajeunissent le cœur de la boutique. Et un coup de peinture frapperait les vielles images.

 

scène 21

 

C’est dans la petite boutique blanche, la jeune fille chante une berceuse de son enfance, probablement provenant d’une boîte à musique en forme de carrousel.

Elle confectionne des oiseaux en papier. L’ossature du mobile est déjà suspendue dans l'arrière-boutique. La jeune fille est installée à son bureau peint de rouge framboise.

Le carillon de l’entrée sonne, l’homme de la traversée se trouve là, devant elle, une boîte des plus fins chocolat de toute la ville à la main. Le sourire victorieux aux lèvres et le regard pétillant de passion.

Elle lève ses yeux de ses assemblages féeriques.

 

La jeune fille, murmure elle-même, et en voix-off :

« Comment avait-il trouvé l’échoppe ? Et comment savait-il qu’elle était ici ?

Par quelle magie avait-il retrouvé le sentier qui mène à la jeune fille à la robe verte. »

 

Sa valise de cuir à ses pieds. Son pardessus est crème comme les murs de la garçonnière.

 

L’homme :

« Puis-je vous inviter à prendre un chocolat ? »

 

Une voiture les dépose devant le grand café du faubourg saint Honoré.

La rue ensoleillée est déjà animée malgré l’heure matinale.

 

L’homme :

« Parlez-moi de vos créations. »

 

 

Une joute de mots, d’amour, de création et de vie comme pour défier l’autre. Trois cafés, Trois chocolats viennois, la boîte de chocolat ne contenant plus que les souvenirs du plaisir gourmet.

Ils marchent encore dans Paris. Passant devant un hôtel charmant, un hôtel de carrefour à l’architecture XIXe, un hôtel qui aurait pu être celui des Amants de Piaf.

Séduis, ils s’accordent à y passer le quelques heures ou mêmes le reste de cette journée. Le papier peint sur les murs sont jaunis, et du dehors, les oiseaux qui chantent semblent se nicher dans les motifs fleuris des murs

 

scène 22

 

C’est dans l'appartement de la jeune fille. Cet appartement est prêté par un ami de son père. Elle voit peu sont pères. Rarement seule. C’est souvent lors de réceptions d'affaires, ou bien celui-ci est préoccupé. Il pense à elle, lui assure une vie paisible, mais oublie qu’il est bon d'offrir un peu de temps à ceux que l’on aime.

Sur la cheminée de marbre, règne un immense bouquet de pivoines. À leurs pieds, une carte d'un beau papier

 

La jeune fille (lit à haute voix le carton):

« Aimez-vous le théâtre, ce soir, je vous y attendrais ».

 

 

 

scène 23

 

C’est encore l'appartement de la jeune fille. Les pivoines sont fanées depuis une semaine, elle n’a pas eu la force de les jeter. Elle n'a pas eu de ses nouvelles , la pièce de théâtre a été exquise, pourtant tout ne s'est pas joué ce soir là. Il reste encore de nombreux actes.

Elle est assise dans son canapé. Sur l'écran, elle, croyant se reconnaître les traits de l'actrice, et l'acteur n’est autre que lui. C’est déjà un vieux film en noir et blanc dont le scénario a été trop usité.

 

scène 24

 

Elle se rend à sa boutique, dans la vitre, presque derrière elle, elle croit le deviner, sa silhouette, son parfum, son mystère. Elle se retourna. Il n’y était pas.

Seuls flottent dans l’air les effluves de son parfum.

Les petits talons rouges reprennent leur rythme saccadé.

Elle passe devant la meilleure chocolaterie. Elle scrute l’intérieur, il n’y est pas...

 

scène 25

 

C’est dans la propriété de l'autre côté de l'Atlantique. Au bord de la piscine. Sa femme et ses enfants se sont absentés en vacances, laissant James G*** à ses affaires. La jeune fille est là depuis une semaine. Il la séduirait et lui ôtera son innocence. Elle est plus qu’une femme, elle est un mythe.

 

Les talons rouges au pied du lit. Les vêtements éparpillés dans cette chambre luxueuse. Le corps aux yeux bleus rencontrent le corps aux cheveux bruns. Il veut tout quitter pour elle. L’emmener faire le tour du monde comme deux amants incestueux en fuite. L'enlever à son monde. S'échapper de sa prison. Recommencer avec celle qui a hanté ses nuits, avant même qu'il ne la rencontre.

Mais il ne le ferra jamais. Il ne le pourra pas. Le manque de force, de volonté, le poids de sa vie et de ses chaînes l’empêche de faire le rapt de la merveilleuse colombe qui est apparu dans sa cage dorée.

Il sait que le numéro de magie prendra vite fin. Qu’il faudra qu'il libère l’oiseau immaculé de rêves, sans la blesser, sans lui briser les ailes comme ont le lui a fait.

Il profite du spectacle comme un enfant émerveillé. Il a rêvé cette jeune fille comme une magicienne, une fée libératrice. Mais le foret est ensorcelé. Il ne pas jouer le rôle du prince.

 

scène 26

 

Alors il ouvre la cage à l'oiseau blanc, et il l'a vu s'échapper comme sa vie lui échappe. Seul le souvenir d'avoir aidé l'oiseau à s’envoler peut le consoler.

 

scène 27

 

C’est dans la galerie d'un ami, l’homme aux yeux bleus rend visite à un vieil ami photographe qui expose prochainement. Il essaye encore de l'oublier. Mais John, cet ami photographe, l'appelle, car il vient de tirer en grand format la photo de la jeune fille. La photo est placé dans son bureau. Sa femme ne se doute de rien ou fait semblent. Il le racontera à la jeune fille quand il la verra au vernissage. Il en a une plus petite où ils sont plus intimes. Mais celle-ci, il la garde secrète.

 

scène 28

 

C’est un soir dans une galerie d’art. La jeune fille est invité par l’ami photographe de James G***.

 

Il la photographie dans la galerie de James G*** avec ses œuvres et son sourire d’une jeunesse inaltérable. Il la photographie avec l’homme aux yeux bleus dans le secret de leur liaison, et il lui demande de poser avec sa robe verte, ses escarpins rouges, ses cheveux bruns et son chapeau orange ; étendue dans un sofa, riante ou détournant la tête. Pour gagner sa confiance, il lui raconte sa vie, ses amours.

 

 

L’ami photographe :

« J'ai eu deux ou trois amants avant de rencontrer mon pygmalion de l'objectif. Mais il avait mis des années avant de l'oublier. J’ai rencontré ensuite d'autres hommes. Souvent des hommes de passages, des plus jeunes et des plus âgés. Et puis j'ai rencontré un peintre Syrien, que je ne vois que la moitié de l'année, à cause de notre art, de nos pays, et de nos envies de liberté; à nos âges, on ne peut plus exiger les chaînes. Mais y a-t-il un instant de la vie où l'on méritât d'exiger à quiconque sa liberté?

Peut-être qu'un jour mon peintre syrien fuira son pays, raison politique ou rejet de la différence. Je ne sais pas si nous arriverons à vivre vraiment ensemble. Mais il sera toujours présent pour lui. Vous verrez, vous, un jour, que l’amour est un oiseau qui s'échappe quand on veut trop le serrer contre soi. Mais ce sont des paroles de vieillard, vivez votre vie, aussi fraîche que la rose que vous êtes. Non, vous n'êtes pas une rose, vous êtes une pivoine. Douce et belle, avec un cœur protégé par des murailles de velours poudré ».

 

scène 29

 

C’est un soir dans une galerie d'art. Le photographe parle un verre de champagne à la main avec son compagnon venu de Syrie tout spécialement pour cet événement. La presse est là, bien sûr. Et elle revoit l'homme aux yeux bleus qu'elle n'a pas vu depuis des mois. Une série des photographies lui est consacrée. Les photos immenses sont envoûtantes. Au-delà du noir et du blanc, du sépia et du négatif, on croit percevoir les couleurs. James G*** parle avec elle. Elle est mal à l'aise. Ses yeux brillent comme s'il l’aimait encore. Il lui parle de la photo qu’il préfère d'elle.

 

l’ancien amant (l’ami de son père, James G***):

[]« Je me suis permis d'en exposer une dans mon bureau…. »

 

La jeune fille (dans sa tête, en voix off ou en aparté):

« Au fait, c’est vrai, je ne sais même pas dans quelles affaires il travaille en particulier. Il a des galeries d’art comme on a un cheval, pour le plaisir du mécénat, comme l'on devient créateur à travers la puissance des autres artistes. Mais il a des actions aux quatre coins de la planète, l'alcool, le café, le chocolat, peut-être même la drogue et les armes. En réalité, il a fondé un empire sur un mystère. Sa femme ne s'intéresse pas vraiment à lui, elle est un accessoire utile, plus préoccupé par ses tenues et les réceptions que par les vraies choses. Tout au plus est-elle une bonne mère de famille. Je me demande si je désirerai des enfants un jour, si je serrais une bonne mère. Et puis ... l’homme de la traversée dont je ne sais rien. S’il aimerait avoir des enfants ? »

 

Mais derrière elle, dans le fond de la galerie. Un homme très grand, un voyageur à la peau halée, aux cheveux bruns, trentenaire et de grande stature ; parle avec des collectionneurs indiens.

 

Elle retourne voir les photos de New-York la nuit, qui ressemble à Paris la nuit. Comme tous les lieux se ressemblent. Comme une chambre sur un paquebot ressemble à une chambre d’hôtel au papier jauni...

 

Un air de jazz est étouffé par la foule rassemblée, ou bien est-ce l’imagination de la jeune fille.

 

Il a reconnu les talons rouges, et même il savait qu’elle serait là. Il a annulé un voyage important ne serait-ce que pour la croiser ce soir-là. Il lui offre son verre qu’il n'a pas consommé. Ses yeux sombres trahissent ses sentiments pour elle. Mais elle ne sait pas si derrière cette aisance et cette confiance, se niche un peu de timidité ou quelques secrets sentiments. Ils sont émus de se revoir. Même par accident forcé. Depuis combien de semaine ne se sont-ils pas revu?

 

scène 30

 

C’est l’appartement de la jeune fille. Installée négligemment dans son canapé, un grand châle sur les épaules, un chocolat brûlant dans les mains, le chat ronronnant près d’elle.

 

scène 31

 

C’est le soir, peut-être éclairé par les lumières nocturnes des grandes villes ou plongé dans une pénombre sans étoiles. Aucun des deux ne saurait le dire Plongés dans le vide du désir l’un pour l’autre.

 

La jeune fille parle avec son ami photographe, elle est incapable de se remémorer les mots échangés tant son âme est tournée vers l’homme de la traversée. Puis soudain une panique insensible aux yeux des autres la saisie, une panique qui bouleverse de l’intérieur comme un tremblement de terre, une terreur qui glace les déserts de sable en un instant. L’homme n’est plus là

 

Un son dans sa tête se met à résonner, plongeant l’immense salle dans le silence, la salle est désormais vide, à peine habitée de vagues fantômes, et un trou noir immense.

 

Parmi la foule, la jeune femme en robe verte qui parle avec le photographe s’évanouit, l’incident n’est remarqué que par deux ou trois personnes. Le photographe profondément inquiété charge son ami syrien de rester aux côtés de la jeune fille. Ainsi l’artiste consacré n’a pas à quitter la réception et l’incident ne se fait pas remarquer d’autre part.

 

Le photographe doit attendre trois heures du matin afin de pouvoir quitter la salle et de se rendre à l’hôpital. Mais la jeune fille n’est pas éveillée. Il reste auprès d'elle et de son ami toute une partie de la nuit. Un couple d’artiste veillant au chevet d’une enfant de l’art

 

scène 32

 

C’est une chambre d’hôpital, la lumière matinale se reflète dans une pièce aux murs blancs éblouissant les yeux si sensibles. À son réveil, la jeune fille aperçoit l’ami du photographe. Elle ne comprend pas bien où elle est et ce qu’elle fait là. On aurait dit qu’une avalanche de flashes inonde l’espace. Son esprit confus murmure sans le vouloir quelques mots inconscients.

 

La jeune fille :

« Qui est-il ? »

 

L’ami photographe :

« mais voyons, vous ne me reconnaissez pas ? Les infirmiers pensent que vous avez fait une petite crise nerveuse. Êtes-vous agoraphobe ? Ce n’est rienVos photos sont magnifiques. Je vais rester encore un peu j’ai un avion dans quatre heures. »

 

scène 33

 

La jeune fille réalise qu’elle a empêchée ses deux amis de passer une dernière nuit ensemble avant une longue séparation. Les larmes du remords coulent sur ses joues.

 

La jeune fille :

« Mon dieu, qu’est-ce que j’ai fait ? Leur dernière nuit, sans doute avant une longue séparation. Pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi »

 

scène 34

 

C’est dans la boutique de la jeune fille. Ses mains créent pour oublier. Comme un alcoolique s’enivrerait des fruits de Bacchus. Ses mains déplient des ribambelles de personnages en papiers et confectionnent des mobiles oniriques, dans un bruit de battement d’ailes et de froissements de rêves.

 

scène 35

 

C’est un jour de pluie. Une petite fille en robe verte découpent dans un annuaire des ribambelles de personnages de papier sans identité pour occuper les jours de solitudes. Puis elle ouvre grand ses bras afin de voir, avec des yeux étonnés et satisfaits, tomber la frise de personnages de papiers.

La grisaille envahit la pièce depuis la fenêtre où se cognent des gouttes téméraires.

 

scène 36

 

C’est sur le palier de l'appartement de la jeune fille, en rentrant de l'hôpital. Un bouquet de pivoine d'un rose pâle l'accueille, il n’y a pas de cartes. La jeune femme désire très fort qu’il fût de Lui.

Le chat miaule, son assiette vide, la jeune fille se précipite pour cajoler et rassasier le félin. Un grand verre de lait n'est qu’un nuage pour ce compagnon de poils. Mais le sommeil les emportent tous les deux, chacun dans son rêve secret.

 

Une brume épaisse envahit l’appartement de la jeune fille, l’homme est là, assit sur le lit à la regarder dormir, dégustant un café odorant, son imperméable beige sur lui….

Mais l’homme s’évanouit avant que la jeune femme ne se réveille.

 

À son réveil, l’appartement de la jeune femme embaume le café.

 

scène 37

 

C’est l'appartement de la jeune femme. Elle est assise en tailleur sur son lit, le chat dormant contre elle, le combiné blanc sur ses genoux, malgré l'heure tardive, elle appelle son ancien amant. Personne ne décrocha….

 

scène 38

 

C’est à la boutique de la jeune femme, un collectionneur d’art achète le mobile aux montagnes de verre. La jeune fille ne le remarque pas tout d’abord, mais ensuite son regard est irrésistiblement attiré par sa grande silhouette et son imperméable beige….

Mais à y regarder de plus près, l’homme dégage une sorte de maladresse et il est beaucoup plus âgé.

 

scène 39

 

C’était un matin ensoleillé, les rues sentent la cannelle et le miel. La jeune femme se rend à sa boutique. Son cœur se met à battre quand elle aperçoit sous la porte une petite enveloppe bleutée.

Elle est sans entête.

À l’intérieur est une petite carte d’un beau papier que la jeune fille lit à haute voix.

 

La jeune fille :

« acceptez de me revoir, ce soir, une table vous attend au Grand Palais »….

scène 40

 

C’est l’appartement de la jeune femme, le téléphone sonne.

 

La voix masculine au téléphone :

« Vous cherchiez à me joindre, en quoi puis-je vous être utile ».

 

La jeune fille :

« ….Non, non ce n’est rien, je... j'ai dû... Je voulais savoir si vous aviez bien reçu le mobile aux oiseaux du Japon... »

 

La jeune fille :

« Oui, oui, vous n’avez sans doute pas encore reçue l’avis de réception, il sera exposé dès demain…. »

 

scène 41

 

Toute la journée son cœur bat dans l'attente de ce moment. Le soir vient à pas lents, comme si le temps s’étirait cruellement... le temps est notre ennemi….

Et comme au ralenti, le soir vient .

 

Le Grand Palais est un univers baroque ou le blanc affronte l'or. Le réceptionniste l'accueille aussitôt en l'informant qu'une table est réservée pour elle et que « Monsieur » n'allait pas tarder à venir. Qu'elle pouvait l'attendre au bar...

 

Le réceptionniste :

« Une table est réservée pour vous, « Monsieur » ne va pas tarder à venir. Vous pouvez l'attendre au bar…. »

 

La jeune fille :

« Une grenadine s’il vous plaît ! »

 

encore l’attente, insoutenable.

 

Les couples commencent à affluer, les manteaux de fourrures s’empilent dans les vestiaires, comme un zoo éteint, et l’odeur de poudre de riz sature peu à peu l’atmosphère.

 

Le temps se joue de l’attente, semant le doute, égarant l’espoir et la confiance. Les jambes de la jeune femme tremble de temps en temps.

 

un garçon en complet :

« tout va bien Mademoiselle ? Désirez-vous autre chose Mademoiselle ?..."

 

La jeune fille (dans sa tête) :

« Évidemment que je désire, mais le pauvre garçon ne pourra pas afficher sur sa carte l'homme le plus délicat. Mais s'il pouvait le faire arriver…. Que tout cela ne soit pas un rêve, que tout cela ne soit pas une farce... ...Une odieuse plaisanterie... »

 

Mais le garçon, par ses délicates attentions fait tout de même venir l’Homme.

L’homme de la traversée s’empresse de la rejoindre après avoir ôté son pardessus. Il semble avoir du mal à reprendre son souffle. Comme s’il avait couru.

 

L’homme de la traversée :

« Me permettez-vous de prendre un armagnac avant de passer à table ? »

 

Cela est dit avec un sourire qui apaise la jeune femme si anxieuse un instant plus tôt. Elle hoche la tête, rayonnante.

 

La salle du restaurant est plus intime, beige avec des rideaux rouges.

On dirait que toutes les lumières viennent de leur table.

Ils se dévorent des yeux et pourtant ses lèvres brûlent de lui poser une question, lui brûle de tout lui dire.

 

La jeune fille :

« Qui êtes-vous…. »

 

Lui hésite, pince légèrement les lèvres et incline brièvement sa tête.

Il semble un instant embarrassé.

Tout autour, des couples dégustent des plats raffinés dans une cacophonie sourde et omniprésente tout à la fois….

 

scène 42

 

C’est un jour de pluie.

 

scène 43

 

.Sa main étendue sur la table, ses doigts se crispent. Une lueur d'inquiétude passe d'un regard à l'autre.

 

L’homme de la traversée :

« J’aimerais vous revoir. »

 

La jeune fille :

« ….Moi aussi... »

 

L’homme de la traversée :

« J’aimerais tout vous avouez…. »

 

La jeune fille :

« Avouez tout…. »

 

L’homme de la traversée :

« Je ne peux pas. »

 

.Sa main étendue sur la table, ses doigts se crispent. Une lueur d'inquiétude passe d'un regard à l'autre. Mais pas un mot ne sort de leurs lèvres...

 

Les lumières tamisées éclairent doucement leurs visages de reflets rouges et cuivrées. Un serveur apporte les entrées.

 

scène 44

 

Une lueur d’inquiétude passe d’un regard à l’autre.

 

L’homme de la traversée :

« J’ai besoin de vous revoir.

Serez-vous prête à me revoir ainsi ?

Je ne suis pas, je ne peux pas…. »

 

 

« Ce n’est pas grave…. »

 

L’homme de la traversée :

« Je...Je vous propose un marché….

Vous….Vous acceptez de me revoir et à chaque entrevue,

je vous livre un indice qui répondra à votre question….

Personne ne se connaît et personne n’est vraiment maître de soi….

Je vous en dis déjà de trop. Mangez à présent, cela va être froid. »

 

Un soir. Un grand restaurant. Dans la salle aux lumières tamisées, un homme et une femme mangeaient, ils touchaient peu à leur assiette mais se dévoraient des yeux.

 

scène 45

 

Leur corps étendu sur un lit. À demi recouverts par des draps de soie beige.

 

scène 46

 

Dans la rue. Il pleut. La jeune fille s’est arrêtée devant la vitrine d’une librairie.

Dans la vitrine il y a un carnet de cuir noir avec une attache de satin rouge qui ferme par un nœud.

 

La jeune fille entre.

 

La jeune fille :

« Bonjour monsieur, je voudrai ce petit carnet noir, là, posé dans la vitrine. »

 

Au comptoir il y a des stylos plumes, l'un deux est assez épais, marbré de vert émeraude et de noir de jais. Elle le saisit, le tourne entre ses doigts, il est lourd comme un secret, il est lisse comme du verre. Le libraire la regarde légèrement est sourit d’un air complice,

 

Le libraire :

« je vous le mets aussi ? ».

Ce n’est pas une question, c’est une certitude comme celle d’un vieil homme qui connaît bien son métier.

 

C’est à une table d’un bistrot parisien. Malgré la pluie, beaucoup de monde passe dans la rue, empressés, avec des parapluies gris. La jeune fille déguste un chocolat viennois. Encore trempée, ses vêtements collant à sa peau. Ses cheveux noirs dégoulinant. Une envie irrésistible d’écrire.

 

Alors elle saisit le carnet qu’elle reste à contempler longuement, puis le stylo vert et noir. Et elle se met à écrire.

 

Les pages blanches se grisent d’une fine écriture inclinée vert la droite.

La fine écriture s’étale sur le papier blanc, la frêle main glisse sur les pages comme mille caresses. L’encre noire dévore le vide comme un nuage de sauterelles.

L’

L’air sent la pluie et le chocolat chaud.

 

scène 47

 

C’est dans la garçonnière de l'homme de la traversée. Au matin, l’Homme n'est plus là. La jeune femme nue se lève, le drap de satin beige maintenu par sa main gauche sur sa poitrine. Elle se dirige vers la bibliothèque et caresse les couvertures de cuir et de papier en ôtant une douce pellicule de poussière.

 

Aux pieds de ses chaussures rouges sont posés une petite carte d’un beau papier et une clé.

La jeune fille (lit à voix haute):

 

 

Elle s’habille, fait le lit et s’en va en fermant soigneusement la porte.

Elle laisse derrière elle un sillage de violette.

 

scène 48

 

Les fils d’encres tapissent les pages comme un ouvrage mécanique, une tapisserie de mots qui s’entrecroisent.

 

scène 49

 

De l’autre côté de l’Atlantique, on acheta un de ses mobiles, « Pénélope attendant le retour d’Ulysse », l’acheteur a l’œuvre par procuration, on ne sait rien de lui.

scène 50

 

Cela pourrait encore être un tableau de Hopper, la jeune fille assise à la table d'un bistrot parisien. Le café est noyé dans la foule inconsciente et lassée. La grande avenue frémit de vies monotones et d'arbres silencieux et nobles. La pluie colore l'asphalte et les murs délavés de cette couleur verte que seuls les jours de pluie savent donner. Les hommes d'affaires empressés, en costume et pardessus beige, les parapluies et les chapeaux s'agitent avec fougue, nuançant le grand boulevard de la rue saint Honoré de teintes rouges à lèvres et orange acidulé. La jeune fille reste songeuse, le minois en l’air, puis se remet à écrire dans son carnet de sa fine écriture noire, laissant refroidir son chocolat viennois excessivement mousseux et crémeux comme l'écume qui lèche la coque du navire. Une odeur de viennoiseries émane d'on ne sait où, sortant parfois la jeune fille de ses rêveries et de son ouvrage, avec une sensation agréablement coupable. Et de la bouche de métro voisine, s’échappe comme un farouche oiseau migrateur, une mélodie jouée par quelques musiciens quêteurs; violon, accordéon, et harmonica suggèrent de braves âmes errantes en guenilles oranges, vertes et brunes sur un fond de faïence rendu sépia par les passants. Mais ce n'est pas un tableau, c'est une étape, un lieu passage, le lieu animé par l'empressement d'une foule colorée, faisant partie d'un théâtre vivant ou enseignes de cafés rouges, feuillages verts et lampions oranges officient le décorum. C'est une clef, comme la suite d'une part de vérité.

 

scène 51

 

La jeune fille rentre à son appartement. La concierge la hèle.

 

La concierge :

« Vous avez du courrier et puis je vous ai laissée une part du fraisier que j'ai fais pour l'anniversaire de mon fils, il n'a pas beaucoup d'appétit, et puis il vous aime bien , vous savez. Y' fait pas beau en ce moment, p'arrait que ça va continuer... C'est gentil de garder mon petit le temps que j’aille rendre visite à ma mère dans le sud; sans vous, je sais pas comment qu'j'aurai fais... »

 

La jeune fille :

« Mais c'est normal Madame M******. Il viendra à la boutique avec moi. Ça fait du bien l’énergie d’un enfant. Ne vous en faites pas. »

 

scène 52

 

C’est l’appartement de la jeune fille. Elle n’a pas eu de ses nouvelles .

Elle est assise dans son canapé. Sur l'écran, elle croit lui reconnaître les traits de l'acteur .C'est un péplum d'après Homère. C’est déjà un vieux film en noir et blanc dont le scénario a été trop usité.

À ses côtés, une boîte de chocolat se vide peu à peu de son contenu.

 

 

 

scène 53

 

La jeune fille rentre à son appartement. On entend la concierge aider son fils à faire ses devoirs. Soudain elle l’aperçoit et vient vers elle.

 

La jeune fille :

« Votre séjour chez votre mère s’est bien passé ? ».

 

La concierge :

« Oui, elle est souffrante la pauvre femme, mais le soleil lui fais du bien, c’est pas comme chez nous…. ».

 

La jeune fille :

« Mais le soleil brille dans nos cœurs ».

 

La concierge :

« Oui, le soleil brille dans nos cœurs, vous avez raison ».

 

La jeune fille prend son courrier.

 

scène 54

 

C’est l’appartement de la jeune fille. Son cœur bat. Elle a en main une lettre, une enveloppe blanche avec son nom et son adresse marqués par une petite écriture fine, noire, ressemblante à la sienne, mais en un peu plus étiré et légèrement plus épais, noir.

Elle la porte à son nez, l’enveloppe sent la pluie, le musc et la cannelle.

Elle est légère.

 

Elle l’ouvre.

À l’intérieur, il y a une petite carte d’un beau papier et deux billets.

 

La jeune fille :

« Ce soir, à l’Opéra ».

 

Elle retourne brusquement la carte, rien.

Elle examine plus précisément l’enveloppe, elle est expédiée depuis l’autre côté de l’Atlantique.

 

scène 55

 

L’Opéra, merveilleux.

 

Dans la garçonnière. L’Homme et la jeune femme s'aiment. Ils font l’amour.

La jeune femme boit avidement les caresses que l’Homme lui offre, comme par addiction, comme une première fois, nuit nouvelle et délicieuse, nuit volée et fragile, elle jouit, elle inscrit dans son corps chaque seconde, comme si elles pouvaient être les dernières.

L’Homme les donne avec passion.

 

Dans un coin de la garçonnière, un carton volumineux.

Il n’est pas défait, comme s’il venait d’arriver.

 

L’homme de la traversée :

« Que voulez vous savoir aujourd’hui, je vous l'ai promis. »

 

La jeune fille :

« Pourquoi tant de distance à notre amour ? »

 

L’homme de la traversée :

« Parce qu’il est là seule chose qui m’appartienne vraiment, qu’ainsi personne ne peut le mutiler et que cela vous protège…. »

 

La jeune fille :

« Me protège de quoi ? »

 

L’homme de la traversée :

« …….,

Je ferai tout pour que nous nous revissions le plus vite possible ».

 

scène 56

 

La semaine suivante. Une carte glissée sous la porte de la boutique.

Un rendez-vous dans un parc parisien.

Une après-midi passée dans les galeries.

La découverte des mêmes goûts en arts, en musique.

Terminée à la garçonnière, désormais lieu d’amour de ces deux êtres.

Une surprise.

Au plafond est suspendu, au-dessus du lit, comme un lustre, le mobile « Pénélope attendant…. »

La jeune fille lève la tête en direction du plafond, impressionnée, émue, gênée.

Une question lui vient aux lèvres, une question étrange.

 

La jeune fille :

« Pénélope…., c’est moi ? ».

 

Elle n’est pas sûre d’avoir bien entendu la réponse, c’est comme s’il avait répondu en murmure, peut-être même sans ouvrir les lèvres, mis à part pour l’embrasser et la serrer fort dans ses bras, c’est comme si le « oui » franc et affirmatif qu’elle avait entendu, volait dans les airs, comme une évidence.

 

scène 57

 

Pas de nouvelles.

 

scène 58

 

Il pleut et il neige.

 

scène 59

 

C’est dans la boutique de la jeune fille. Ses mains créent pour oublier. Comme un alcoolique s'enivrerait des fruits de Bacchus. Ses mains confectionnent encore et toujours des mobiles oniriques. Dans un bruit de battement d’ailes et de froissements de rêves.

scène 60

 

Les mains glissent sur le papier blanc.

Le papier blanc se couvre de gravures à l’encre noir.

 

scène 61

 

Une jeune femme marche dans les rues, se rendant à sa boutique. Un manteau noir recouvre sa petite robe verte, un rouge brille sur ses lèvres qui égayent les froids d’hiver.

Elle marche fièrement, avec une allure légère, la mélancolie qui orne son visage doit être dû au froid.

Douce et belle, avec un cœur protégé par des murailles de velours poudré.

 

scène 62

 

C’est l’appartement de la jeune fille. Installée négligemment dans son canapé, un grand châle sur les épaules, un chocolat brûlant dans les mains, le chat ronronnant près d’elle.

Elle semble attendre.

Caresse le compagnon au pelage si doux.

 

scène 63

 

Elle attend.

Elle tricote.

Entre ses doigts naît une étoffe aérée, comme un filet.

Est-ce pour attraper ses rêves ? Est-ce pour le garder.

 

Plus les jours passent, plus le filet s’allonge.

 

Pas de nouvelles.

 

scène 64

 

La corde noire s’enlace sur le papier blanc dans des arabesques fougueuses et passionnées.

 

scène 65

 

Toujours pas de nouvelles.

 

scène 66

 

Dans sa poche, la clé.

L’envie furieuse.

 

Dans sa poche, la clé.

L’obsession.

 

Dans sa poche, la clé.

Dans la rue, ses pas orientés, comme par une boussole.

 

Le trouver, le trouver là-bas.

Elle court, ses talons frappent le sol du rythme de la femme.

Les passants voient courir une femme souriante, débordante d’espoir ; son manteau de laine noir s’est ouvert, on devine une robe verte.

 

scène 67

 

Elle a couru. Reprends son souffle tout en saisissant dans sa poche la clé.

Son cœur bas, elle est là, devant la porte, hésitant soudain.

Puis elle ouvre. Il n'est pas là. Il n'est pas là, mais qu’importe, son odeur est partout. Odeur de cigare, de miel, de musc et de cannelle ; et un peu aussi de chocolat et de violette.

Sur la bibliothèque, de la poussière.

Au plafond, Le mobile de leur passion.

Elle se sent bien dans cette espace étouffant.

Elle enlève son manteau.

Elle s’allonge sur le lit, caresse les draps de satin, sent ses odeurs.

 

La jeune fille :

« Combien de nuit a-t-il dormi ici sans moi ? »

 

Très peu, ou aucune, elle le sait. Elle est toujours ici, avec lui.

L’air chaud est étouffant. Elle enlève sa robe verte.

Elle s’allonge sur les draps frais, respirant à pleins poumons l’odeur de Lui.

Elle imagine ses baisers. Elle imagine son corps.

Elle a trop chaud, elle enlève son fond de robe de satin noir, ses talons rouges glissent de ses pieds jusqu'au sol. Pas un souffle d'air frais ne caresse sa peau. Elle enlève son fin collant de laine noire. Des mains invisibles caressent ses pieds vernis de rouge, ses jambes, ses cuisses. Elle est bien là, ici seulement. Elle ne sait plus si ce sont ses mains ou d'autres mains qui dégrafent son soutien-gorge de dentelle noire, qui font glisser la petite culotte de dentelle le long de ses cuisses, de ses jambes, de ses pieds vernis de rouges... Elle est enivrée par la volupté. Elle ne sait plus si le vieux phonographe s’est mis à fonctionner tout seul pour réciter son petit air de jazz. Elle ne sait plus si la lumière est vive, tamisée ou bien s’il fait noir. Des odeurs de pivoines s'ajoutent aux effluves de violettes et de chocolat.

Son corps est transporté d’ivresses, de plaisirs et de ces instants où le monde n’existe plus.

 

Elle s’est endormie, souriante.

Quand elle se réveille, elle s’habille et fait le lit.

Elle repart avec sur sa peau des odeurs de miel, de musc et de cannelle.

 

Lui, s’il revient sentira son odeur de pivoine, de violette et de chocolat.

Mais elle ne le sait pas.

 

scène 68

 

Comme il lui manque.

Comme ils se manquent.

 

scène 69

 

À la terrasse d'un salon de thé, une boîte des meilleurs chocolats de la ville. Elle rit, il la fait rire. Il la regarde fasciné de voir cette belle femme qu'il aime et qui l'aime, qu’il a peur de perdre, qu'il ne pourra pas garder à ses côtés, sauf si...

Elle rit épanouie d’être à ses côtés.

Ils marchent ensemble.

L’eau est gelée, des enfants font des hommes de neiges. Une boule de neige les éclaboussent, ils se retournent pour voir qui le leur à jeté. Ce sont des enfants qui les nargues.

Une bataille féroce de boules de neige et d’éclat de rire débute alors entre les enfants et ce couple.

Un avion pour l'Allemagne l'attend le soir. Elle l’accompagne à l’aéroport.

Ils ne veulent plus se quitter, enlacés dans leurs manteaux de laine, dans le hall d’embarquement.

 

L’homme de la traversée :

« Vite, posez-moi votre question…. »

 

La jeune fille :

« Comment puis-je vous joindre? J’ai besoin de vous appeler, de vous parler. Quand vous reverrais-je ? »

 

L’homme de la traversée :

« Vous ne pouvez pas m'appeler... Je vous appellerais, dès que je pourrais, le plus souvent qu'il me sera permis, tous les jours, si je peux, plusieurs fois par jour s'il m'était permis.... »

 

La jeune fille :

« Oh! Appelez-moi, je vous en pris…. »

 

L’homme de la traversée :

« Je sais que vous êtes venus dans ma garçonnière… votre parfum… mais je vous en supplie, n’y venez plus quand je ne suis pas là, je préfère, c’est…. c’est trop….

JE VOUS AIME ! »

 

Il est parti, encore. Mais dans sa poche aux côtés de la clé, un petit billet d’un beau papier; dans un mois, à l’hôtel de la première fois.

scène 70

 

La neige tombe. Elle donne envie de la recouvrir aussi de lacets à l’encre noir.

 

scène 71

 

Les mains tricotent le filet qui s’allonge de plus en plus.

 

scène 72

 

C’est dans la boutique de la jeune fille. Ses mains créent pour attendre. Comme un alcoolique s'enivrerait des fruits de Bacchus. Ses mains assemblent des mobiles oniriques dans un bruit de battement d’ailes et de froissements de rêves.

 

scène 73

 

Elle attend. Elle l’attend.

 

scène 74

 

Deux mobiles de vendus.

 

scène 75

 

C’est l’appartement de la jeune femme, le téléphone sonne.

C’est Lui.

 

scène 76

 

C’est la chambre d’hôtel, le papier sur les murs était autrefois blanc, les fleurs imprimées donnent alors l’impression d’un jardin secret, un paradis perdu au cœur de Paris. Le lieu des amours clandestines.

Le visage de la femme se pare de sourires et d'abandons au gré des variations du plaisir. La chambre était inoccupée voilà à peine quelques heures. Trois étages au-dessous, derrière les murs, au coin de l’immeuble, les passants passent sur fond de murs crèmes.

Dans sa poche avec la clé, un billet d’amour.

 

scène 77

 

Il l’appelle presque tous les jours. Lui parle des pays qu’il découvre et rêvant une vie à ses côtés.

Mais ne réponds pas aux questions. La règle du jeu.

C’est si peu est c’est déjà tellement.

Elle lui parle de la boutique. De la ville, des gens qui passent, des livres, du temps, de ses rêves, des mobiles exotiques, des alibis qui suivent les pas d’un étranger, les pas de Lui.

 

scène 78

 

Un colis. Dans une pluie de confettis, un trésor enveloppé, un présent de l'homme de la traversée. Un carrousel. De fer. Un jouet d'enfant aux couleurs rouges, vertes et oranges, avec de vieux chevaux grisonnant, écaillés. Une musique d'enfance au parfum de barbe-à-papa. Une musique pour eux deux.

 

Et la nuit, elle déclenche le mécanisme. Ils se font tout petits et se retrouvent ensemble sur les chevaux de bois de fer dont la peinture s’écaille.

Le manège les enivre dans un tourbillon coloré et elle rira, il la regarde rire. Une bouche d’un rouge à lèvre qu'on a envie d’embrasser.

Et son chapeau s’envole, elle se retourne pour le saisir, mais il s’envole déjà loin, petite tâche orange.

Sur le même destrier, il la serre contre lui, la couvrant de caresse et de baisers. Vivant tous deux le bonheur.

 

Le jour. Le manège ne chante plus. Les deux amants sont loin l’un de l’autre.

La jeune femme peut passer des heures à côté du téléphone, son chat s'impatiente et vient la rejoindre, elle le caresse, regarde le téléphone comme si son regard allait le faire vibrer. Il est devenu un carrousel. à lui tout seul, avec sa mélodie, ses espoirs, et les rêves qu’il procure.

Il lui arrive de se réveiller la nuit parce qu’elle a crut entendre sonner le téléphone.

 

Le jour, le manège de fer posé près de la fenêtre reçoit les rayons du soleil. La chaleur déclenche le mécanisme qui réveille le chat. Mais la jeune fille n’est pas là, elle est à la boutique et confectionne des mobiles pour rêver.

 

scène 79

 

C’est un mobile, il ressemble beaucoup à un carrousel., avec des enfants dessus. Il déborde d'une foule joyeuse et d'animaux fantastiques qui courent en tout sens. Mais la magie s’arrête dès que l'on se rend compte que tout n’est que plat, cette vie est illusion, assemblage de personnages de papiers.

 

scène 80

 

Et puis il ne donne plus de nouvelles.

 

scène 81

 

Encore trois mobiles de vendus, l’hiver ne les effraye pas.

 

scène 82

 

Elle retourne dans la garçonnière.

Il y est.

 

L’homme de la traversée :

« Je vous ai demandé de ne pas venir, je dois m'en aller et nous ne pourrons même pas passer un moment ensemble. Je vous vois déjà partout, alors si vous apparaissez chez moi, alors je vais vraiment perdre la tête. Je savais que je n’aurais pas dû vous donner cette clef. Si j'ai bien fais…. »

 

La jeune femme :

« Avez-vous une femme, une maîtresse….un amant qui nous sépare ?

C’est ma question… »

 

Il la regarde tendrement et éclate de rire, puis il se calme pour s’excuser de ce rire nerveux. Elle attend, crispant ses doigts sur son bras, le regard comme un rapace dans le ciel, peureux.

 

L’homme de la traversée :

« Si vous voulez bien être tout cela, alors oui. Sincèrement, je suis aussi solitaire qu’un étranger sur les mers. Je ne suis qu’une pauvre marionnette dans le théâtre de la vie. »

 

Elle détourna la tête, fâchée.

 

La jeune fille :

« Pouvez vous au moins dire quelque chose sans avoir recours aux masques de l’allégorie ? »

 

L’homme de la traversée (Il sourit):

« JE VOUS AIME ».

 

Il est dans son pardessus beige, une valise de cuir à ses pieds.

 

L’homme de la traversée :

« Je dois m’en aller, permettez-moi de vous serrer dans mes bras une dernière fois ».

Elle se jeta dans ses bras.

 

Dans sa poche une page déchirée. Un auteur hellénique.

 

scène 83

 

Les pages du carnet s’ornent de leur parure d’encre noir.

 

scène 84

 

Le téléphone sonne, c’est John G***.

 

John G*** :

« Je vous invite à passer les vacances dans ma résidence de montagne. Cela vous changera de la ville ».

 

La jeune fille :

« J’accepte ».

 

C’est un chalet comme il y en a sur les images d’Épinal. En bois avec de la neige tout autour. Peu de touristes, pas encore ici, en tout cas. Un intérieur chaleureux avec une grande cheminée où brûle constamment des danseuses rouges et jaunes.

Des soirées entre amis, un couple d’artistes comme on les peindrait.

Et une solitude paisible. Seulement une amitié chaleureuse.

 

Il attend un ami. Un homme d’affaire apparemment.

Elle est accueillie avec tendresse. L’autre invité n’est pas encore arrivé.

John fait des photos toute l’après-midi avec son ami.

La jeune fille décide de parcourir les alentours.

Un paysage splendide. Un blanc neigeux, des sapins verts et au loin des chalets minuscules semblables à de minuscules oranges.

Un espace infini. Blanc comme du papier qui n’a pas encore été tâché.

L’envie d’écrire.

Mais plus de carnet. Quand la dernière page a été noircie, doit-on noircir la neige ?

La jeune femme sourie, elle se retourne, ses pas forment une chaîne, une corde, un fil conducteur.

Alors elle continue à écrire dans la neige, devant elle.

Les mots s’enlacent sur la neige comme une danse, vivant de l’ombre qu’ils apportent sur le sol étrange.

Des mots aux reflets bleutés, des mots froids mais ensoleillés.

Il lui semble sentir une présence derrière elle. Elle se retourne, personne.

C’est sûrement un animal, leur pelage est blanc, on les remarque à peine dans la neige.

Les dessins de neiges arrivent à leur terme. La jeune fille exténuée se laissa glisser au sol et s’assoupit à demi.

Les reflets sur la neige changent peu à peu de place.

 

Quand la jeune fille se réveille, elle songe qu’il doit être le soir. Elle se précipite vers le chalet, la nuit tombe déjà.

Le temps de se préparer pour le dîner.

 

La salle bleue. Trois personnes l’attendent déjà à table. À son entrée, ils se lèvent.

 

John G*** et son compagnon :

« Notre ami est arrivé pendant que vous vous prépariez, laissez-nous vous le présenter… »

 

scène 85

 

La garçonnière est vide, il y a bien des odeurs de cigare froid, de miel, de musc, de cannelle, de violette, de pivoine et de chocolat, mais elles sont vaporeuses ; comme des étoiles déjà mortes dans le ciel et qui brillent encore à nos yeux. Le portique, la bibliothèque, sont vides. Il n’y a pas de valise de cuir ou de vêtements oubliés; seuls les meubles comme un lit sans draps, un canapé de cuir marron déchiré, un guéridon au sol et cassé, et des rideaux rouges lacérés se devinent depuis une porte de bois éventrée. Les habitants de l'immeuble ne comprennent pas ce qui s'était passé, ils ont été réveillés en pleine nuit. On croit à un cambriolage. Le locataire est un trentenaire qui a dû en faire sa garçonnière. On ne sais pas trop se qu'il fait dans la vie, il n'est pas souvent là, en tout cas, on ne l’entendait jamais. Et puis on ne sait pas non plus qui il est, il a une fausse identité. Il paraît que la police le recherche toujours.

 

À l’autre bout de la ville, l’appartement d’une jeune femme est inoccupé. Il n'y a plus de jeune femme, plus de chat, la porte n'est pas fermée à clé. On a mis un peu plus d’un mois avant de s’en rendre compte. La concierge est sous le choc.

 

La concierge :

« Une brave petite, toujours en robe verte, elle avait même gardé mon petit, et puis elle adorait le fraisier. Ah ça oui, je l’aimais bien cette fillette. »

 

La boutique aussi est vide.

En réalité, elle a été vendue un bon mois plus tôt.

La famille est sans nouvelles.

 

scène 86

 

La jeune fille :

« Et Ulysse, c’est vous ? »

 

scène 87

 

C’est dans la garçonnière de l’Homme. Au matin, l’Homme n’est plus là. La jeune femme nue se lève, le drap de satin beige maintenu par sa main gauche sur sa poitrine. Elle se dirige vers la bibliothèque et caresse de sa main droite les couvertures de cuir, de papier en ôtant une douce pellicule de poussière.

 

La jeune fille :

« un livre n’était plus là, entre Duras, et Aragon, n’y avait-il pas Homère ? »

Elle n’arriva pas à se le remémorer.

 

Ce n’est pas la peine qu’elle face le lit en partant, pour qu’il garde ses empreintes.

 

Elle s’habille, fait quand même le lit. Elle saisit dans son sac le carnet noir qu’elle pose soigneusement sur le lit.

 

La jeune fille :

« pour vous ».

 

Elle laisse derrière elle un sillage de violette et ses talons claquent sur le sol

 

scène 88

 

Entre Duras et Aragon, il y avait l’Odyssée.

Maintenant, elle s’en souvient.

 

 

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